La crise n'est assurément pas terminée, mais la sortie publique de Justin Trudeau hier, complémentaire à celle de son ancien bras droit Gerald Butts la veille, a démontré que la réalité est plus complexe que ce que certains ont pu insinuer jusqu'ici.

De fait, ceux qui ont respiré par le nez, contrairement à ceux qui ont grimpé dans les rideaux, n'ont pas eu tort. Le Parti conservateur a réclamé la tête du premier ministre, certains chroniqueurs au Canada anglais ont exigé, de toute urgence, la dissolution du Parlement... Tout ça semble désormais excessif.

Ce qu'a dit le premier ministre pour contrecarrer les attaques de sa ministre, plaidant une « différence de perspective », est plausible, même si ses remarques étaient moins documentées et plus vagues que celles de Jody Wilson-Raybould lors de son témoignage remarqué.

Il a reconnu lui avoir demandé, en septembre dernier, de continuer d'évaluer si SNC-Lavalin pouvait bénéficier d'un accord de poursuite suspendue. Il l'aurait toutefois assurée que c'était à elle de prendre cette décision.

Il n'y a pas eu, à ce moment, de fin de non-recevoir de Jody Wilson-Raybould, a-t-il affirmé. Elle aurait plutôt dit qu'elle allait faire le suivi, notamment, avec le greffier du Conseil privé.

Tout ça expliquerait, selon le premier ministre, pourquoi on a continué de talonner la ministre à ce sujet pendant plusieurs semaines. « On considérait que Mme Wilson-Raybould était toujours ouverte à considérer de nouveaux facteurs dans cette décision », a-t-il dit.

Les discussions ultérieures avec elle étaient d'autant plus justifiées qu'on se préoccupait du sort de quelque 9000 employés de l'entreprise au Canada, a ajouté Justin Trudeau. Le contraire, bien franchement, eût été inquiétant.

Avec ses déclarations, le premier ministre a donc remis en partie le couvercle sur la marmite. Cela dit, sa sortie publique a aussi mis au jour certaines faiblesses, par-dessus tout sur le plan du leadership.

Visiblement, pour ce qui est des capacités organisationnelles et de la communication, Justin Trudeau et son entourage ont failli à la tâche. C'est embarrassant.

C'est ce qui semble avoir été à la source de « l'érosion de la confiance » entre son bureau et la ministre. Et le fait qu'il ne s'en est jamais vraiment rendu compte est préoccupant.

« L'un des éléments centraux de mon leadership est de cultiver un environnement dans lequel mes ministres, le caucus et les employés sont à l'aise de venir me voir quand ils ont des préoccupations », a-t-il précisé. Visiblement, ce n'est pas un succès.

A-t-il suffisamment de francs contacts avec ses ministres ? La question se pose. On se rappelle encore qu'en début de mandat, en l'espace de 14 mois, il n'a jamais rencontré en tête à tête l'ancien ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion.

C'est aussi un manque de leadership de sa part d'avoir laissé pourrir cette crise pendant un mois, soit depuis que le Globe and Mail a fait état pour la première fois de « pressions » exercées sur Jody Wilson-Raybould.

Il semble enfin y avoir un véritable plan de gestion de crise, mais il arrive bien tard...

Cet amateurisme a aussi provoqué une érosion de la confiance entre son parti et le grand public.

Le premier ministre dit vouloir tirer des leçons de ce pénible épisode. Tant mieux. Il va demander l'avis d'experts externes pour trouver de meilleures pratiques quant au fonctionnement interne de l'appareil d'État. Entre autres sur les « façons de s'engager » avec les ministres et les députés. On s'interrogera aussi sur le bien-fondé de séparer (ou pas) les postes de ministre de la Justice et de procureur général.

La crise va néanmoins se poursuivre. On ne sait pas comment réagiront désormais Jody Wilson-Raybould et sa plus proche alliée, l'ex-présidente du Conseil du Trésor Jane Philpott, mais le dossier n'est pas clos. Par ailleurs, on sait que les partis de l'opposition, ayant senti l'odeur du sang, vont continuer à parler de « corruption » jusqu'aux élections.

En somme, le leadership de Justin Trudeau continuera d'être testé au cours des prochains mois comme jamais auparavant. Et la façon dont il va rectifier le tir pourrait peser lourd dans la balance lorsque les électeurs auront à se prononcer l'automne prochain.

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