« Remercions Dieu pour le Canada ! » C'est le titre d'une chronique publiée il y a quelques jours par Nicholas Kristof, journaliste réputé au New York Times.

Son propos ? Le Canada est en train « d'émerger en tant qu'autorité morale » alors que le monde est en déficit de « leadership constructif ».

Les exemples cités sont nombreux. Le Canada se tient debout face à l'Arabie saoudite. Il a accueilli des dizaines de milliers de réfugiés syriens. Il est l'un des rares à avoir dénoncé la répression massive des musulmans au Xinjiang (dans l'ouest de la Chine). Et il travaille avec doigté, en compagnie de nombreux alliés, pour le retour de la démocratie au Venezuela.

Les louanges de Nicholas Kristof tombent à pic pour le gouvernement Trudeau. Parce que de ce côté-ci de la frontière, dans la foulée de l'affaire Meng Wanzhou - cette dirigeante de l'entreprise Huawei interpellée à Vancouver à la demande de Washington -, les critiques se multiplient.

Parmi celles-ci, la chroniqueuse du Globe and Mail, Margaret Wente, a affirmé que les relations tumultueuses d'Ottawa avec la Chine et les États-Unis sont un signe de l'amateurisme du gouvernement fédéral en matière de politique étrangère. Dans nos pages, la chroniqueuse Lysiane Gagnon a renchéri : « Le Canada de Trudeau n'a pas rempli ses obligations internationales » et son approche est « floue, émotive et naïve ».

Qui dit vrai ? Ceux qui estiment que le Canada est inspirant, ou ceux qui soutiennent qu'il est désespérant... et qui citent souvent en exemple le tristement célèbre voyage en Inde ?

La réponse se situe quelque part entre les deux.

La politique étrangère du Canada n'est pas un fiasco. La plupart des problèmes et des frictions ne sont pas le résultat des erreurs de l'équipe en place, mais plutôt de bouleversements majeurs sur la scène internationale.

À commencer par l'élection de Donald Trump, qui a forcé le gouvernement canadien à déployer une énergie considérable dans le but de préserver notre relation avec Washington (et de sauver l'Accord de libre-échange nord-américain).

D'ailleurs, le président américain continue de nous réserver de bien mauvaises surprises. Si notre relation avec Pékin bat de l'aile actuellement, c'est en grande partie à cause des États-Unis. Et du fait, aussi, que la Chine assume maintenant sa puissance. « Ce retour au nationalisme des grandes puissances », pour reprendre l'expression de l'historien Robert Kagan - dont le plus récent essai est l'un des préférés de la ministre Chrystia Freeland, selon le magazine The Economist - se constate aussi en Russie, où Vladimir Poutine prend plaisir à tourmenter les démocraties occidentales.

Posons-nous la question : Stephen Harper et son équipe auraient-ils fait mieux dans ces circonstances ? C'est hautement improbable.

Le hic, c'est que les libéraux avaient placé la barre haut en matière de politique étrangère. En annonçant prématurément en 2015 que le Canada était « de retour », ils nous ont donné l'impression qu'il y aurait une révolution. Mais il n'y en a pas eu.

Par contre, il y a bel et bien eu un changement de cap. Il était souhaitable. Le Canada a renoué avec le multilatéralisme. Il a cessé de snober l'ONU. Il s'est remis à participer aux opérations de paix - timidement, diront certains, mais utilement. Et il est en train de retrouver sa réputation de médiateur impartial et désintéressé (honest broker). Le rôle qu'il est en train de jouer pour dénouer la crise vénézuélienne le démontre.

Mais il y a une différence entre redresser la barre et marcher sur l'eau. Forcément, ceux qui s'attendaient à des feux d'artifice restent sur leur faim.

Car on peut se targuer d'avoir sauvé les meubles lors des pourparlers avec Washington sur l'ALENA, mais les véritables accomplissements se font encore attendre.

Les experts en matière de politique étrangère déplorent également qu'il n'y ait plus d'idée maîtresse pour guider notre action dans le monde, comme ce fut le cas avec le concept de sécurité humaine sous Jean Chrétien.

Il est donc vrai que le Canada travaille fort pour défendre l'ordre international, qui n'a jamais été tant menacé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais il est vrai, également, que les gestes faits par le gouvernement Trudeau n'ont pas encore été à la hauteur de ses ambitions.

Rendre grâce à Dieu serait exagéré. Dire que notre politique étrangère s'en va chez le diable le serait tout autant. Dans ce dossier comme dans bien d'autres, il serait bon de faire preuve de plus de nuance, même si nous traversons hélas une époque qui ne nous y incite pas.

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