Plus les jours passent, plus les circonstances de la mort du journaliste Jamal Khashoggi se précisent. Et c'est encore plus abominable que ce qu'on imaginait.

On aurait commencé par lui couper les doigts alors qu'il était toujours vivant, a-t-on appris. Le médecin légiste saoudien accusé d'avoir exécuté ces basses oeuvres l'a fait avec des écouteurs sur les oreilles, dit-on. Vraisemblablement pour ne pas entendre les cris.

« Quand je fais ce travail, j'écoute de la musique. Vous devriez [le] faire aussi », aurait déclaré ce médecin avant de découper le journaliste en morceaux.

Torture ? Le mot n'est pas assez fort. C'est monstrueux. Ça nous rappelle à quel point l'Arabie saoudite est un régime barbare. Mais... ça ne semble pas préoccuper Donald Trump le moins du monde. Ni son très fidèle secrétaire d'État Mike Pompeo, d'ailleurs. Il affichait un large sourire lors de sa rencontre, mardi, avec le prince hériter du royaume, Mohammed ben Salmane.

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Ces détails au sujet de la mort de Jamal Khashoggi proviendraient d'un enregistrement sonore du meurtre présumé. Un journaliste turc a pu l'entendre. Des sources turques ont par la suite confirmé ses révélations à d'autres médias.

Ces nouvelles allégations s'ajoutent aux nombreux autres détails et indices rapportés depuis le 2 octobre, jour où le journaliste a disparu - car rappelons-nous, les autorités saoudiennes ont d'abord soutenu qu'elles ne savaient pas où Jamal Khashoggi était passé.

Il faudrait être dangereusement naïf pour penser que le régime saoudien n'a rien à voir avec ce crime.

D'ailleurs, Mohammed ben Salmane semble même en être un acteur clé. Un membre de sa garde rapprochée et trois hommes qui appartiennent à des services de sécurité qu'il contrôle figurent parmi les suspects du crime, a découvert le New York Times.

Accablant ? De plus en plus. Pourtant, Donald Trump semble de moins en moins enclin à vouloir critiquer le régime saoudien. Il y a quelques jours, il avait évoqué une « punition » potentielle. Avec un sérieux bémol : pas question de compromettre les ventes d'armes américaines au régime saoudien.

Le président américain est désormais encore plus indulgent à l'égard des Saoudiens, même si les preuves semblent s'accumuler. « Et c'est reparti ! Vous êtes coupable avant que votre innocence ne soit prouvée. Je n'aime pas ça. Nous venons de vivre ça avec le juge Kavanaugh et il était innocent jusqu'au bout pour ce qui me concerne », a-t-il déclaré mardi.

Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Bien sûr, la présomption d'innocence est un principe crucial dans un État de droit. Mais le président américain sait très bien que personne en Arabie saoudite n'a intérêt à faire la lumière sur cette affaire. Pensons-y : c'est le prince hériter lui-même qui a promis de mener l'enquête ! Quelle farce ! Si la Maison-Blanche tenait vraiment à savoir ce qui s'est passé, c'est une enquête internationale indépendante qu'elle réclamerait.

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Évidemment, ce n'est pas la première fois que l'administration américaine décide de détourner le regard lorsqu'un de ses alliés bafoue les droits de la personne. Ni la première fois que les Américains donnent le bénéfice du doute aux Saoudiens, avec qui ils ont un mariage de raison. Mais il y a toujours eu des limites à cette indifférence. Et l'Arabie saoudite vient clairement de les franchir.

Le Washington Post, quotidien américain qui publiait les textes de Jamal Khashoggi, a demandé à la Maison-Blanche d'« exiger des réponses fortes et claires ». C'est peine perdue.

Dès qu'il a pris le pouvoir, Donald Trump a offert un chèque en blanc au régime saoudien. Il ne semble pas avoir l'intention de revenir sur sa décision. On peut espérer que les républicains qui contrôlent le Congrès américain vont lui forcer la main, mais rien n'est moins sûr.

Une chose est claire, par contre : si Washington laisse l'Arabie saoudite s'en tirer sans une égratignure, cela rend les États-Unis complices de ce crime... et des prochaines exactions du régime. Car il y en aura d'autres. C'est écrit dans le ciel. Pourquoi Mohammed ben Salmane ferait-il preuve de retenue ? Comme un enfant surprotégé par ses parents, il saura que même s'il commet les pires bêtises, son allié américain n'osera pas le dénoncer.

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