Ces jours-ci, en Amérique du Nord, les temps sont durs... pour les statues!

En Colombie-Britannique, c'est celle de John A. Macdonald qui vient d'être déboulonnée. Ce sont les élus de Victoria, capitale de la province, qui ont tranché. La statue se trouvait devant l'hôtel de ville où ils ont pris cette douteuse décision.

Si on relègue maintenant le tout premier premier ministre du Canada aux oubliettes de l'histoire, ça signifie que plus personne n'est à l'abri. Et ça soulève une question préoccupante : où s'arrêtera-t-on?

Les élus de Victoria disent avoir voulu se débarrasser de cette statue en raison du rôle joué par John A. Macdonald dans la création d'un système de pensionnats autochtones. Alors pour être logique, il faudrait déboulonner les statues de tous les autres premiers ministres canadiens «qui ont poursuivi la même politique», a souligné avec justesse l'historien Pierre Anctil dans nos pages il y a quelques jours.

Ce serait, bien sûr, un non-sens. Le dernier pensionnat a fermé ses portes dans les années 90.

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L'assimilation forcée des autochtones dans ces pensionnats a été une tragédie. On peut comprendre que des autochtones soient irrités par les hommages rendus à John A. Macdonald d'un bout à l'autre du pays (à Montréal, on retrouve une statue du politicien tout près du métro Bonaventure).

En revanche, dans une perspective historique, la carrière de ce politicien marquant ne peut pas être réduite à cette erreur.

Il a été l'un des pères fondateurs du Canada, loué pour sa modération et ses talents en matière de conciliation, rappellent les experts. «Il occupe, qu'on le veuille ou non, une place centrale dans l'histoire canadienne puisqu'il a contribué à l'édification du Canada», souligne le professeur de l'Université de l'Alberta Frédéric Boily, dans un texte récent sur «l'instrumentalisation de la mémoire» de ce politicien canadien.

Une place nettement plus importante, par exemple, que celle occupée par le général Amherst. C'est pourquoi l'idée de rebaptiser la rue montréalaise nommée en l'honneur de ce général britannique se justifie plus aisément. Jeffrey Amherst, rappelons-le, disait vouloir provoquer une épidémie de variole chez les autochtones en leur distribuant des couvertures contaminées.

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John A. Macdonald n'est certes pas un saint. Loin de là. Mais il n'est pas non plus le diable. Son héritage est nettement plus complexe que le laissent entendre ceux qui militent pour qu'on retire ses statues. Ce faisant, ils évacuent toute nuance et peignent en noir les zones grises.

Les historiens en sont d'ailleurs encore à débattre de sa responsabilité dans certains crimes commis à l'égard des autochtones à l'époque ; lors des soulèvements des Métis, par exemple.

Notons par ailleurs que ceux qui ont érigé des statues de John A. Macdonald au fil des ans cherchaient à honorer sa mémoire et non à narguer les autochtones. Le contexte est ainsi totalement différent de ce qui s'est trop souvent produit sur le sol américain avec les monuments qui commémorent les héros de la confédération et qui sont aujourd'hui terriblement embarrassants.

Rendre hommage au général Robert E. Lee et à ses alliés qui ont lutté pour préserver l'esclavage représente encore, pour plusieurs Américains, un refus d'admettre que ces tenants de la suprématie blanche avaient tort.

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Les élus de Victoria ont dit avoir déboulonné la statue de John A. Macdonald dans le but de favoriser la réconciliation avec les autochtones. Mais la controverse risque hélas d'alimenter l'intolérance. De diviser et non de rassembler.

Le sénateur Murray Sinclair, qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation du Canada, a affirmé l'an dernier que de tels débats au sujet des statues ou des édifices et établissements baptisés en l'honneur de John A. Macdonald étaient contreproductifs. Déployons plutôt des efforts dans le but d'honorer des héros autochtones, a-t-il suggéré. On aurait tout avantage à se fier à cet avis éclairé.

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