Jetez d'abord un oeil sur la photo de Donald Trump et de ses proches conseillers qui illustre ce texte. Elle a été prise huit jours après la prestation de serment du président et on la retrouvera probablement dans les livres d'histoire.

Aucun de ces quatre conseillers n'a conservé son emploi à la Maison-Blanche. Ils sont tous partis, en l'espace de quelques mois. Certains de leur propre gré. D'autres ont été congédiés. Comme l'a été, hier, le secrétaire d'État Rex Tillerson.

Le sort des conseillers qui figurent sur cette photo est représentatif d'une tendance lourde au sein de l'administration américaine.

Autant de départs en si peu de temps, c'est du jamais vu dans l'histoire récente de la présidence. Et c'est préoccupant.

Une récente étude de l'Institut Brookings a évalué le taux de roulement parmi la soixantaine de conseillers qui forment la garde rapprochée de Donald Trump. Au cours des 12 premiers mois de la présidence (de janvier 2017 à janvier 2018), 34% de ces hauts responsables avaient démissionné, avaient été congédiés ou occupaient un autre poste au sein de l'administration.

À titre de comparaison, sous Barack Obama, le taux de roulement avait été de 9%. Sous Bill Clinton il était de 11% et sous George W. Bush, de 6%.

La semaine dernière, l'étude a été mise à jour. Le taux de roulement au sein de l'administration Trump avait grimpé à 43%. Et c'était avant le départ de Rex Tillerson, remplacé hier par le directeur de la CIA Mike Pompeo (ce dernier étant pour sa part remplacé par la numéro deux de l'agence, Gina Haspel).

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Visiblement, Donald Trump ne s'inquiète pas outre mesure de ce remue-ménage. Il fallait le voir bomber le torse hier en annonçant le départ de Rex Tillerson. Comme le directeur général d'une équipe de hockey qui aurait échangé certains de ses joueurs les plus importants, mais persisterait à affirmer que tout va bien. Il était fier, visiblement, d'avoir enfin pu dire à «Rex» qu'il était congédié.

Déjà, la semaine dernière, Donald Trump avait minimisé l'importance des changements trop fréquents au sein de son administration. «Il y aura toujours des départs et des arrivées», a-t-il écrit sur Twitter. «Il n'y a pas de chaos, a-t-il ajouté. Juste une formidable énergie!» Tant qu'à vivre dans le déni, autant y aller à fond!

Il a tout faux, bien sûr. Selon l'Institut Brookings, c'est un cancer qui est en train de proliférer. Car ce taux de roulement inédit est dû (entre autres) au chaos qui règne dans l'administration. Et ce chaos s'accentue en raison de ce taux de roulement inédit.

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Rappelons-nous : la saignée a commencé rapidement après l'élection présidentielle. Le conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn a été congédié le 13 février 2017, 24 jours après l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. 

Les départs ont par la suite continué avec une régularité alarmante.

Tout juste avant le congédiement de Rex Tillerson, trois autres membres de l'entourage du président étaient partis en l'espace d'un mois.

Il s'agissait de précieux alliés que le président aurait préféré conserver : le secrétaire du personnel Rob Porter, la directrice des communications Hope Hicks et le conseiller principal du président sur l'économie Gary Cohn.

AP

Le secrétaire d'État Rex Tillerson envoie la main après s'être adressé aux médias, hier, à Washington. Il a été congédié par Donald Trump plus tôt dans la journée.

Des trois, c'est Gary Cohn qui était le plus important. De par son expérience, sa compétence et ses fonctions. «S'en remettre représentera un défi considérable» pour l'administration américaine, a d'ailleurs déploré la page éditoriale du Wall Street Journal, où l'on donne généralement à Donald Trump le bon Dieu sans confession.

Tous les trois (comme Rex Tillerson) faisaient, semble-t-il, partie des conseillers qui arrivaient parfois à faire comprendre à Donald Trump que la modération a bien meilleur goût.

Il est important de le mentionner : le chaos à la Maison-Blanche n'est pas seulement un problème institutionnel anodin. L'hémorragie des conseillers non plus. Tout ça a des impacts bien réels. Sur les États-Unis et sur leurs partenaires (dont le Canada, évidemment). Parce que, bien sûr, le chaos nuit au processus décisionnel. Être sur le pont du Titanic pendant le naufrage ne favorise pas la prise de décisions éclairées...

Et parce que, par ailleurs, les conseillers modérés comme Rex Tillerson et Gary Cohn au sein de l'administration Trump se font de plus en plus rares. Ça signifie que les plus radicaux ont, plus que jamais, le bras long. Et ça veut dire que le président est plus susceptible de poser des gestes irraisonnés.

C'est loin d'être une bonne nouvelle alors que la Maison-Blanche fait face, à court terme, à des défis que même un président normal entouré d'une équipe stable aurait du mal à surmonter : assurer l'avenir de l'Accord de libre-échange nord-américain et résoudre la crise nord-coréenne, entre autres...

Il reste à espérer que le nouveau secrétaire d'État Mike Pompeo, qu'on décrit comme un faucon, fera néanmoins partie de ceux qu'on surnomme les «adultes» au sein de l'administration américaine. Le chaos qui y règne nous rappelle pourquoi on compare si souvent le président à un enfant.

Taux de roulement à la Maison-Blanche (première année) :

Donald Trump 34%

Barack Obama 9%

George W. Bush 6%

Bill Clinton 11%

George H. W. Bush 7%

Ronald Reagan 17%

- Source : Washington Post, selon une étude de Kathryn Dunn Tenpas, Brookings Institution

AFP

Hope Hicks et Gary Cohn.

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