Les images des migrants franchissant la frontière canado-américaine ces derniers mois dans l'espoir d'une vie meilleure ont été jugées émouvantes, mais aussi, inquiétantes.

Souvenons-nous : le phénomène avait provoqué certaines réactions épidermiques. Plusieurs ténors du Parti conservateur du Canada, par exemple, ont tenté d'en faire leurs choux gras. Maxime Bernier a même dit, avec le plus grand sérieux, envisager le déploiement de militaires à la frontière.

L'arrivée du printemps était redoutée. Des températures plus clémentes n'allaient-elles pas attirer encore plus de migrants au Canada?

Ce n'est pas ce qui s'est passé. Le nombre de personnes interceptées à la frontière par la GRC a légèrement diminué en avril dans l'ensemble du pays. Et on vient d'apprendre qu'en mai, il a continué de chuter, cette fois de façon plus marquée.

Remettons donc les pendules à l'heure : jusqu'ici, ce qui se passe est bien loin des scénarios apocalyptiques parfois évoqués.

Si la tendance se maintient, le nombre de demandes d'asile reçues cette année au Canada pourrait franchir le cap des 30 000 (dans leur ensemble et pas seulement celles traitées à la frontière). Ce serait substantiel, mais pas inusité.

«Dans ce domaine, on a souvent la mémoire courte», rappelait hier dans nos pages la directrice du Conseil canadien pour les réfugiés, Janet Dench. Au cours des 10 dernières années, on a franchi le cap des 30 000 demandes à deux reprises. En 2008 et 2009.

Il est bon, également, de mettre ces chiffres en contexte. L'ONU vient d'annoncer que le nombre de déplacés dans le monde a atteint un nouveau sommet : 65,6 millions en 2016. S'insurger contre le fait que quelques milliers de réfugiés potentiels traversent la frontière canado-américaine, ce n'est pas seulement avoir la mémoire courte, c'est aussi avoir la mèche courte. Ce n'est pourtant pas la colère, mais bien la compassion qui est de mise.

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Le Canada n'a donc pas été envahi. Fort bien. Mais le nombre de demandes d'asile cette année risque fort, néanmoins, de doubler par rapport à 2015. La capacité d'adaptation des autorités gouvernementales est donc mise à rude épreuve.

Les acteurs sur le terrain confirment que l'accueil va bon train. On souligne cependant qu'Ottawa aurait tout avantage à accroître les ressources allouées aux organismes qui prêtent main-forte aux demandeurs d'asile.

Il y a par ailleurs un endroit où l'on constate de véritables ratés : à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Radio-Canada soulignait récemment que le nombre de dossiers en attente se chiffre à 28 500, une hausse de 69% par rapport à la fin de l'année 2015.

Ottawa, loin d'affronter la situation et d'accorder plus de ressources à la CISR, a préféré... lancer un nouvel examen des procédures de traitement des demandes. Même si une récente vérification interne avait offert des solutions à cet engorgement. En matière de leadership, on a déjà vu mieux.

Le gouvernement fédéral n'a donc pas encore montré qu'il a pris la mesure du défi représenté par cet afflux. S'il est vrai que l'heure n'est pas à la panique, il ne semble pas avoir compris qu'il devait, lui aussi, prendre le taureau par les cornes.

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