Lego qui pratique la censure ?

Vous vous demandez peut-être si vous avez mal lu. Comment le numéro un mondial du jouet - entreprise a priori inoffensive qui plaît aux enfants de 7 à 77 ans - a-t-il pu agir de la sorte ? Et aux dépens de qui ?

C'est pourtant véridique. L'affaire a refait surface à la mi-janvier, mais elle date à l'origine de l'automne dernier. Le plus célèbre artiste visuel de Chine, l'iconoclaste Ai Weiwei, a annoncé en octobre que Lego avait refusé de lui vendre une grande quantité de blocs. Cet achat était destiné à une oeuvre indiscutablement politique : il disait vouloir construire des portraits de célèbres dissidents en Lego.

C'est ce qui a fait tiquer l'entreprise danoise.

« En tant qu'entreprise qui se consacre à fournir une expérience de jeu créative aux enfants, nous nous abstenons - au niveau mondial - de nous impliquer dans ou d'avaliser l'utilisation de briques Lego dans des projets ou des actions ayant des visées politiques », a-t-elle rétorqué.

Il faut croire que les dirigeants de Lego ont eu, avec raison, des remords. Ils viennent de modifier leur politique. « Le groupe Lego ne demande plus la thématique envisagée lors de la vente de briques Lego en gros destinée à des projets spécifiques », ont-ils annoncé il y a 10 jours.

Ils demandent simplement aux artistes de préciser que ces projets ne sont en aucun cas « approuvés » par Lego.

Tout porte à croire que c'est surtout la grogne suscitée par leur refus initial qui a fini par leur faire entendre la voix de la raison. Non seulement Ai Weiwei a-t-il crié à la censure, mais ses critiques ont eu un écho considérable, particulièrement dans les réseaux sociaux.

Si bien que de nombreux musées dans le monde (incluant le Musée des beaux-arts de l'Ontario) ont décidé de solliciter des dons de blocs. La générosité des nombreux donateurs contrastait avec l'attitude des dirigeants de Lego. Tant par leur égocentrisme que leur hypocrisie.

Car vendre des blocs à un artiste, subversif ou non, est avant tout une décision commerciale. Refuser d'en vendre est, par contre, une décision politique.

Elle l'était d'autant plus dans le cas d'Ai Weiwei, un artiste que les autorités chinoises ont déjà tenté de faire taire. Il a été mis derrière les barreaux pendant 81 jours en 2011 et on l'a ensuite privé de son passeport pendant quatre ans.

En prétextant qu'ils refusaient de cautionner une oeuvre politique, les dirigeants de Lego facilitaient en fait la tâche de ceux qui souhaitent censurer l'artiste et brimer sa liberté d'expression. Impossible de croire qu'ils n'avaient pas en tête leurs propres intérêts commerciaux lorsqu'ils ont pris cette décision. Une entreprise qui soutient que ses blocs sont « un concentré de liberté d'expression » ne peut pourtant pas donner dans la censure.

Fort heureusement, en ayant fait son mea culpa, Lego est conséquent avec ses principes. Il est aujourd'hui de nouveau possible d'acheter les célèbres blocs sans se dire qu'ils sont un symbole de créativité pour certains, mais un symbole d'oppression pour d'autres.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion