Que diriez-vous de recevoir 4,5 millions de dollars pour un terrain qui en vaut 2,6 millions sur le marché ? Ou 1,4 million pour des lots dont l’évaluation municipale s’élève à 276 000 $ ?

Parions que vous éclateriez de rire avant de déboucher votre meilleure bouteille.

C’est ce qui se passe actuellement avec les propriétaires qui ont la « chance » d’être expropriés par l’État. Depuis quelques années, les tribunaux leur accordent des indemnités qui n’ont plus aucune commune mesure avec la réalité. Les cas mentionnés ci-dessus, bien réels, en témoignent.

Jeudi dernier, le gouvernement Legault est venu sonner la fin de la récréation avec un projet de loi visant à modifier en profondeur la Loi sur l’expropriation. Bravo. Le premier ministre s’était personnellement engagé à agir là-dessus et il a tenu promesse.

Ce projet de loi promet de ramener sur Terre les indemnités stratosphériques qui sont présentement accordées quand l’État doit déplacer des gens ou des entreprises pour protéger un milieu humide, construire un REM ou faire passer une ligne électrique, par exemple.

Les changements seront particulièrement précieux pour les municipalités, qui peinent à respecter leurs obligations de protection du territoire sans s’embarquer dans un long, incertain et coûteux processus chaque fois qu’il faut interagir avec un propriétaire privé.

On peut avoir l’impression que le gouvernement du Québec, lui-même un grand expropriateur, est à la fois juge et partie dans ce dossier.

Mais l’idée n’est pas de donner les pleins pouvoirs à l’État pour qu’il puisse expulser cavalièrement tout propriétaire de chez lui. Il s’agit simplement d’offrir un dédommagement juste aux expropriés, selon des balises qui préviennent les dérives.

En bref, il s’agit de corriger un déséquilibre.

L’origine des problèmes actuels se trouve dans le fait qu’on n’indemnise pas les expropriés sur la base de la valeur marchande de leurs biens, mais selon le principe juridique flou de « valeur au propriétaire ».

En gros, on calcule ce que pourrait valoir le terrain dans un monde imaginaire où tous les rêves sont permis.

Une ville qui voudrait acquérir un boisé pour respecter ses obligations environnementales, par exemple, ne doit pas payer la juste valeur marchande du boisé à son propriétaire. Elle doit payer ce que pourrait un jour valoir ce boisé si jamais on en changeait le zonage et qu’on y érigeait un centre commercial.

Les avocats ont une expression pour ça : « l’usage le meilleur et le plus profitable ». Actuellement, il est interprété à l’extrême. Le résultat est que toute personne ou entreprise dont le terrain est convoité par l’État a intérêt à aller devant les tribunaux pour tenter d’obtenir le pactole.

En fait, il est devenu si intéressant de se faire exproprier au Québec que plusieurs propriétaires plaident maintenant des « expropriations déguisées » lorsque des changements de zonage touchent leurs terres, en espérant de juteuses indemnités.

Bien sûr, les expropriés doivent pouvoir se défendre contre les abus des divers ordres de gouvernement, qui sont parfois réels. Mais ce recours quasi systématique aux tribunaux engorge un système de justice déjà débordé.

Certains cas virent à la bisbille. C’est le cas à Rosemère, où un promoteur poursuit la Ville, la MRC et la Communauté métropolitaine de Montréal pour la rondelette somme de 278 millions de dollars au sujet d’un ancien golf évalué à… 13 millions.

En précisant les règles du jeu et en balisant à l’avance les indemnités qui peuvent être versées en cas d’expropriation, on peut penser que le projet de loi du gouvernement Legault amènera de la prévisibilité et diminuera les recours aux tribunaux.

Si les changements sont approuvés, les indemnités seront calculées sur la base de la valeur marchande, comme c’est le cas dans les autres provinces. À cela, on pourra ajouter des indemnités si l’exproprié doit déplacer ses biens ou fermer une entreprise, par exemple.

Des balises spécifiques sont prévues pour les terres agricoles, qui font l’objet de spéculation effrénée au Québec.

Le projet de loi sera maintenant passé à la loupe et on verra s’il comporte des failles. Mais dans l’ensemble, il faut saluer cette intervention nécessaire qui sonne la fin de la fête pour les expropriés.

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