Finalement, ce n’est pas « un peu suicidaire » pour le français d’accueillir plus d’immigrants au Québec.

C’est pourtant ce que le premier ministre François Legault disait en campagne électorale.

Huit mois plus tard, il propose de hausser les seuils d’immigration. Il faudra s’en souvenir quand un politicien tentera à nouveau de courtiser une partie du vote nationaliste sur le dos de l’immigration…

Cette volte-face n’efface pas les déclarations malheureuses de la Coalition avenir Québec (CAQ) sur l’immigration durant la campagne. Mais on aime mieux un gouvernement qui recule quand il a tort qu’un gouvernement qui s’obstine et qui continue d’avoir tort.

Pour son deuxième mandat, la CAQ propose deux grands changements en immigration : hausser les seuils d’immigration, et ne sélectionner que des immigrants économiques qui parlent français.

Pour les seuils d’immigration 2024-2027, le gouvernement Legault choisira l’un des deux scénarios suivants :

  1. Augmenter graduellement de 50 000 à environ 68 000 immigrants permanents par an.
  2. Maintenir le seuil à 50 000 immigrants par année (la promesse électorale de la CAQ).

On a tous compris cette semaine que Québec préfère le premier scénario. La décision finale sera prise à l’automne, après des consultations publiques.

Il y a quelques mois, nous nous étions demandé quel serait le seuil d’immigration optimal pour le Québec. Notre conclusion : entre 65 000 et 70 000 immigrants permanents par an. Nous ne pouvons que nous réjouir que le gouvernement aille dans cette direction. Il pourrait même le faire plus rapidement.

Lisez le dossier « De combien d’immigrants le Québec a-t-il besoin ? »

Aussi, il faut se réjouir du fait que le gouvernement Legault remette sur les rails le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui vise à attirer les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires déjà au Québec. Le PEQ fonctionnait très bien jusqu’à la réforme catastrophique de Simon Jolin-Barrette. La ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, propose de revenir en quelque sorte à l’ancien PEQ, avec davantage d’exigences pour le français.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault, et la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette

Toutefois, il y a deux problèmes majeurs dans la proposition dévoilée jeudi par la CAQ. Le premier : on hausse uniquement le nombre d’immigrants économiques, et non le nombre de réfugiés et d’immigrants issus du regroupement familial (deux types d’immigration contrôlés par Ottawa).

Traditionnellement, l’immigration économique représente environ 65 % de l’immigration, les réfugiés et le regroupement familial, 35 %. Avec la proposition de Québec, on serait plutôt à 70 %-30 %. On doit continuer de fournir notre effort et garder la proportion 65 %-35 %. C’est une question de justice sociale et d’équité.

Le deuxième problème de la réforme Fréchette : n’accueillir que des immigrants économiques qui parlent français. Ce serait une première au Québec.

On est d’accord à 200 % avec l’objectif du gouvernement Legault de porter une attention particulière à la défense du français. Le français fait partie intégrante de notre identité québécoise. Il faut le chouchouter, le valoriser et le protéger.

On ne croit toutefois pas qu’il faille obliger tous les immigrants économiques à connaître le français avant d’immigrer au Québec.

Il est injuste de faire porter aux immigrants le sort de l’avenir du français.

La réalité, c’est que les immigrants québécois… n’ont jamais autant parlé français !

La proportion d’immigrants qui parlent le français et qui ont le français comme première langue officielle parlée augmente sans cesse depuis les années 1970.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le gouvernement Legault répète souvent que le français est en « déclin » parce que la proportion des Québécois et des Montréalais qui ont le français comme langue maternelle ou comme langue parlée le plus souvent à la maison diminue.

Or, le français n’est pas menacé parce que des immigrants parlent arabe, espagnol, portugais, italien ou créole entre eux à la maison. L’important, c’est que les immigrants adoptent le français comme langue principale à l’extérieur de leur domicile, au travail, dans la sphère publique et avec leurs amis. Et que leurs enfants aillent à l’école en français.

Dans le contexte où les immigrants québécois n’ont jamais autant parlé français, on juge trop sévère de sélectionner uniquement des immigrants francophones avant leur arrivée au Québec. On se privera de l’apport de futurs Québécois qui pourront apprendre le français une fois sur place.

Pendant des décennies, on a favorisé l’arrivée d’immigrants francophones par l’intermédiaire d’un système de sélection des immigrants économiques où la connaissance du français vaut beaucoup de points. C’est ainsi que 88 % des immigrants économiques sélectionnés en 2022 parlaient français (connaissance à l’oral et à l’écrit). On peut améliorer ce système sans rendre la connaissance du français obligatoire. On doit aussi faire beaucoup mieux avec nos programmes de francisation. De 2019 à 2021, le Québec n’a même pas tout dépensé l’argent que lui envoie Ottawa pour l’accueil, l’intégration et la francisation des immigrants.

Cela dit, si la CAQ va de l’avant avec cet aspect de sa réforme, le Québec ne serait pas le seul endroit au monde à exiger que ses immigrants économiques parlent sa langue officielle. Le Royaume-Uni fait de même avec l’anglais pour un visa de travail. Dans le reste du Canada, le principal programme fédéral d’immigration économique, Entrée express, exige aussi la connaissance de l’anglais ou du français.

On doit pouvoir discuter sereinement de ces questions.

Et si Québec haussait les seuils ?

Dans l’un des deux scénarios dévoilés jeudi, Québec propose de hausser graduellement les seuils de 50 000 à 60 000 immigrants permanents par an d’ici 2027. On ajouterait à ce seuil les immigrants issus du Programme de l’expérience québécoise, soit environ 8000 immigrants par année avant la pandémie. C’est pourquoi nous écrivons que le seuil annuel passerait à environ 68 000 immigrants en 2027.

  • 2024 : 50 000 immigrants + immigrants du PEQ (env. 8000)
  • 2025 : 54 000 immigrants + immigrants du PEQ
  • 2026 : 57 000 immigrants + immigrants du PEQ
  • 2027 : 60 000 immigrants + immigrants du PEQ

Un bémol au 100 %

En sélectionnant seulement des immigrants économiques francophones, Québec estime que 96 % des immigrants économiques en 2026 connaîtront le français. Pourquoi 96 % et non 100 % ? Parce qu’on fera des exceptions pour les travailleurs en technologies de l’information et les talents d’exception, soit 4 % des immigrants économiques.

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