Comme si on n’avait pas déjà assez de problèmes de recrutement en santé, l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec a décidé de rendre son examen d’admission beaucoup plus difficile.

Le taux de succès à l’examen pour devenir infirmière dégringole de façon étonnante et inquiétante. En trois ans, il est passé d’environ 90 % à 50 %. En pleine pénurie de main-d’œuvre.

Depuis 10 ans, c’est la première fois que les résultats d’un examen d’un ordre professionnel sont aussi catastrophiques.

L’Ordre rejette la faute sur la formation durant la pandémie. Et dit ne pas pouvoir faire de compromis au nom de la protection du public.

Le commissaire à l’admission aux professions, un organisme indépendant, a examiné l’examen de septembre 2022, où seulement 45 % des étudiantes ont obtenu la note de passage. Son rapport est dévastateur : l’examen n’est pas fiable, la note de passage a été haussée de 4 points de pourcentage sans raison suffisante, et 500 futures infirmières de plus auraient dû passer.

L’Ordre a rejeté le rapport du commissaire André Gariépy et affirme désormais que la note de passage aurait dû être encore plus élevée. Il ne faut pas manquer de culot !

Et ce n’est pas tout : l’Ordre veut remplacer dès 2024 son examen par un examen américain encore plus difficile, et conçu pour les infirmières ayant reçu une formation universitaire. Or, 80 % des candidates à l’examen viennent de terminer leur DEC en soins infirmiers. Plusieurs thèmes de l’examen américain (ex. soins de longue durée, soins critiques, soins palliatifs, réadaptation) font uniquement partie de la formation universitaire.

L’Ordre a pris cette décision controversée alors qu’il demande depuis un an à Québec d’imposer le baccalauréat comme porte d’entrée à la profession d’infirmière, comme c’est le cas dans le reste du Canada. Le gouvernement Legault a dit non.

Malgré tout, l’Ordre veut imposer un examen de niveau universitaire, si l’Office des professions le lui permet.

L’Office devrait refuser cette demande.

Il ne s’agit pas de niveler la formation vers le bas. Il s’agit d’une question d’équité.

Si vous n’exigez pas de bac pour devenir infirmière, vous ne pouvez pas exiger qu’une diplômée du cégep passe un examen essentiellement universitaire pour obtenir son titre professionnel.

Maintenant, on fait quoi avec les candidates qui ont échoué aux deux derniers examens par des poussières ?1

Il est possible que les cohortes de la pandémie soient plus faibles, comme le suggère l’Ordre. « En soins infirmiers, l’école à distance, ça ne marche pas super bien. Depuis trois ans, on doit revoir notre formation [pour les nouvelles infirmières]. Il y a une différence sur le niveau de préparation à travailler », dit Valérie Pelletier, directrice des soins infirmiers au CHU Sainte-Justine.

Mais en 2021, l’Ordre a aussi changé la façon de calculer la note de passage. Cette décision est contestée, notamment par le commissaire André Gariépy. On n’entrera pas dans les détails techniques, mais l’Ordre a haussé la note de passage d’environ 4 points de pourcentage (de 49,9 % à 53,8 % pour septembre 2022). Sans ces 4 points, environ 500 étudiantes de plus auraient passé. Certes, 70 % de ces étudiantes qui ont refait l’examen en mars l’ont passé. Bravo pour leur persévérance ! Mais la situation reste injuste pour les 30 % qui auraient passé avec l’ancien calcul.

À court terme, l’Office des professions doit forcer l’Ordre à revenir à son ancienne méthode de calcul. Il a le pouvoir de le faire.

À long terme, le problème est plus large : on se retrouve avec un Ordre convaincu de détenir la vérité, déterminé à ce que le bac devienne l’unique porte d’entrée à la profession, et qui n’a pas l’air de saisir l’ampleur du problème.

Ce taux d’échec alarmant n’est pas uniquement celui des étudiantes.

C’est aussi l’échec de l’Ordre, qui accompagne mal les candidates. Particulièrement celles formées à l’étranger (taux de réussite en septembre 2022 : 15 % !), que l’Ordre doit pourtant préparer à l’examen.

C’est l’échec des institutions d’enseignement.

C’est l’échec du milieu de la santé, où chaque hôpital prépare en vase clos ses candidates à l’examen, au lieu de faire part de ses meilleures pratiques.

Devant une situation aussi critique, le milieu doit se serrer les coudes pour trouver des solutions. On a l’impression que c’est le contraire qui se produit.

À court terme, l’Ordre doit abandonner son projet d’examen américain et revoir sa méthode de calcul. Mais le plus important, c’est qu’il change d’attitude.

Qu’il propose des solutions réalistes, plutôt que de donner des leçons du haut de sa tour d’ivoire.

NB: Une version précédente de cet éditorial mentionnait que le baccalauréat était la porte d'entrée de la profession d'infirmière aux États-Unis, ce qui n'est pas toujours le cas.

1. Lisez « Je dis au revoir au rêve d’être infirmière » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion
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  • 80 %
    Proportion des candidates à l’examen de l’Ordre des infirmières en septembre 2022 qui étaient des diplômées du cégep. Environ 60 % des infirmières avec un DEC font ensuite leur bac.
    Source : rapport du commissaire à l’admission aux professions, Ordre des infirmières et infirmiers du Québec