Bien sûr qu’il est délicat d’intervenir sur les territoires autochtones. Tant à Québec qu’à Ottawa, on prône des relations de « nation à nation » avec ces communautés.

Et une nation, en principe, ça n’intervient pas dans les affaires d’une autre.

Il y a toutefois des limites à ce principe.

Ces limites, on les voit exposées de façon flagrante dans les articles de notre collègue Tristan Péloquin sur ce qui se passe à Kanesatake. Le jus toxique d’un dépotoir géré par des gens au lourd passé criminel coule en plein Lac des Deux Montagnes. Et quand le feu prend dans les montagnes de matières dangereuses, les pompiers de la municipalité voisine d’Oka ne peuvent souvent même pas intervenir. (1)

Ajoutez à cela que Kanesatake ne compte aucune force policière depuis près de deux décennies et que le conseil de bande est dysfonctionnel, et vous avez la recette d’un désastre à la fois environnemental et social qui se déroule sous nos yeux.

Un désastre, aussi, qui se déroule sous les yeux de nos gouvernements. Parce que tant à Québec qu’à Ottawa, personne n’est tombé en bas de sa chaise en lisant les reportages. Les problèmes sont connus de longue date et suivis de près par les autorités. Certains membres des gouvernements connaissent les moindres rouages des conflits qui divisent Kanesatake.

Il faut donc donner ça à nos élus : ils sont bien informés. Le problème, c’est quand vient le temps de passer à l’action. Les preuves du laxisme sont patentes : le dépotoir illégal continue d’empoisonner l’environnement… et le climat social de Kanesatake.

C’est d’autant plus troublant que quelque chose de fondamental est en train de se passer : les langues se délient dans les communautés autochtones. Des résidants de Kanesatake osent maintenant dénoncer la petite clique qui fait régner la terreur chez eux. Ils s’ouvrent aux journalistes et réclament des interventions du gouvernement.

On voit la même chose à Uashat mak Mani-Utenam, une communauté de la Côte-Nord où le crime organisé a créé un important problème de consommation de cocaïne. Notre journaliste Fanny Lévesque y a recueilli des témoignages de membres de la communauté et de policiers autochtones qui en ont assez. (2)

« C’est la fin de l’omerta », constate une source à qui nous avons parlé au gouvernement du Québec.

Cela change profondément la donne.

Jusqu’ici, nos gouvernements étaient obsédés par les risques d’intervenir en territoire autochtone. Ils doivent maintenant se demander quels sont les risques de ne pas intervenir, notamment sur la confiance de communautés qui réclament du changement au prix d’un grand courage.

On nous dit à Québec qu’il faut s’attendre à de l’action bientôt à Uashat mak Mani-Utenam, sur la Côte-Nord. Le fait qu’il existe une force policière autochtone facilite les choses. Québec peut agir de façon concertée. Tant mieux.

Le cas de Kanesatake est plus complexe. Il y a néanmoins quelques évidences. La première est qu’il faut une intervention urgente pour contenir les fuites toxiques du dépotoir vers les cours d’eau.

Même si ça fait mal au cœur, il faudra sans doute aussi se résoudre à investir des fonds publics pour décontaminer les lieux. La facture sera salée – le ministère de l’Environnement du Québec évoque 100 millions de dollars. Mais plus on attend, plus les dommages seront grands.

L’autre évidence est que les frères Gabriel, qui ont créé ce fiasco environnemental, doivent être écartés des lieux pour de bon. Il serait risible de décontaminer le dépotoir pour le leur remettre ensuite. Le gouvernement du Québec a déjà révoqué le certificat leur permettant d’exploiter le dépotoir. C’est maintenant à leur titre de propriété qu’il faut s’attaquer, une responsabilité du fédéral.

De façon plus générale, tant Québec qu’Ottawa ont la responsabilité de ne pas laisser sombrer Kanesatake dans le chaos. Comme c’est souvent le cas, il faudra qu’ils coordonnent leurs actions plutôt que de se renvoyer la balle.

Les gouvernements n’auraient jamais dû attendre autant pour intervenir dans les communautés autochtones problématiques, mais la fin de l’omerta leur donne maintenant une occasion en or de le faire avec l’appui des populations locales.

Le temps des excuses est terminé.

(1) Lisez les articles de Tristan Péloquin sur le dépotoir illégal de Kanesatake (2) Lisez les articles de Fanny Lévesque sur les problèmes à Uashat mak Mani-utenam Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion