Ça y est, le dialogue de sourds sur l’immigration recommence.

Chacun sur leur planète, Ottawa et Québec s’accrochent à leur plan, sans prendre le temps de mener un sain débat fondé sur des données complètes et probantes.

D’accord, le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, s’est dissocié cette semaine de l’Initiative du siècle, un plan du milieu des affaires visant à faire passer la population du Canada à 100 millions en 2100.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Sean Fraser, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada

Mais dans les faits, le gouvernement libéral va déjà dans ce sens… et même plus vite.

En 2022, le Canada a connu une augmentation record de sa population de plus de 1 million de personnes, dont 437 000 immigrants permanents et, pour la première fois, encore plus de temporaires (608 000).

Cette augmentation de 2,7 % classe le Canada au premier rang des pays de l’OCDE. À ce rythme, la population aura doublé dans environ 26 ans, estime Statistique Canada1. On sera donc 80 millions au Canada en 2050.

C’est loin d’être banal.

Mais sans tambour ni trompette, le Canada vient de hausser ses cibles d’immigration permanente à 500 000 en 2025. Tout ça, sans que cette décision cruciale pour l’avenir du pays fasse l’objet d’un débat digne de ce nom. Tout ça, sans que le gouvernement explique comment on intégrera ces arrivants.

Déjà, les constructeurs immobiliers sont incapables de suivre la hausse de la population. L’actuel déficit de logements à louer va quadrupler d’ici 2026 si rien ne change, selon les économistes de la Banque Royale du Canada. Alors, imaginez le prix des loyers en 2050 !

Désolée, l’immigration n’est pas un robinet qu’on ouvre sans se poser de questions, juste parce qu’on souhaite que le Canada de demain pèse plus lourd sur la scène internationale.

Il faut un plan. Un plan réaliste.

Les cibles d’immigration du fédéral placent le Québec face à une situation délicate. Si la province veut maintenir son poids au sein du pays, elle doit accepter quelque 100 000 immigrants par année, ce qui n’est pas simple si on veut maintenir le caractère distinctif du Québec.

Le premier ministre François Legault a déjà déclaré qu’il serait « suicidaire » de dépasser le seuil de 50 000 immigrants par année. Mais sur quoi repose ce chiffre ? Personne ne le sait.

À Québec comme à Ottawa, il faut un plan. Un vrai.

La ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette, va bientôt mener des consultations pour établir les cibles d’immigration permanente des quatre prochaines années. Dommage qu’elle n’ait pas saisi l’occasion pour organiser de véritables états généraux sur l’immigration qui auraient permis d’élargir le débat, pour tenir compte des résidents temporaires dont l’explosion de zéro en 2015 à 62 000 en 2019 a créé un véritable système à deux vitesses.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Christine Fréchette, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec

Ça fait l’affaire des universités, qui remplissent ainsi leurs salles de classe d’étudiants étrangers et des employeurs qui ne savent plus où trouver de la main-d’œuvre.

Mais, pour reprendre l’image du député libéral Monsef Derraji, à quoi bon limiter le nombre d’immigrants permanents qu’on accueille par la porte d’en avant si les immigrants temporaires peuvent entrer par la porte de garage, qui est grande ouverte ?

Au lieu de déchirer sa chemise en réclamant davantage de pouvoirs à Ottawa, ce qui risque de mener à une querelle stérile, Québec devrait utiliser les leviers qu’il a déjà à portée de main.

Il pourrait commencer par dépenser au complet la généreuse enveloppe qu’Ottawa lui remet pour la francisation en vertu de l’accord Canada-Québec sur le partage des compétences en immigration.

Il faudra toujours de la francisation, car, disons-le, viser une immigration économique à 100 % francophone, comme l’a évoqué la CAQ, n’est pas réaliste. Cela entraverait la croissance de certains secteurs économiques clés, comme l’aérospatiale ou la filière batterie.

Ensuite, Québec devrait mieux huiler sa machine bureaucratique. À cause de son incurie administrative, la province se fait damer le pion par le fédéral, qui a finalement décidé d’atteindre sa cible de 4,4 % d’immigration francophone hors Québec, ce dont on ne peut que se réjouir.

Mais cela fait en sorte que des immigrants francophones préfèrent s’installer à l’extérieur du Québec, parce que c’est moins long, moins compliqué et moins cher, comme le rapportait notre collègue Suzanne Colpron2.

Enfin, pourquoi ne pas miser un peu plus sur la promotion de la langue, plutôt que sur la coercition et la culpabilisation ? On n’arrivera à rien en mettant le déclin du français sur le dos des jeunes, comme dans la publicité du faucon pèlerin.

Pourquoi ne pas mettre l’accent sur le positif ?

Par exemple, saviez-vous que les travailleurs qui utilisent les deux langues au Québec ont un revenu médian (39 909 $) qui est de 24 à 36 % supérieur à celui des travailleurs qui parlent uniquement le français (32 294 $) ou l’anglais (29 248 $), selon l’Office québécois de la langue française 3 ?

Comme quoi le bilinguisme, ça rapporte ! Et l’apprentissage du français pour les immigrants, c’est payant, dans tous les sens du terme !

1 Lisez le constat de Statistique Canada sur la croissance de la population 2 Lisez l’article « Immigrants francophones : “pas désirés” au Québec, recherchés au Canada » 3 Lisez le portrait du revenu d’emploi au Québec en 2015 de l’OQLF Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion