Rendu là, on serait peut-être aussi bien de déterminer les tarifs d’électricité en pigeant des chiffres au hasard dans un chapeau.

Depuis le début du mois, les consommateurs québécois paient leur électricité 3 % plus cher que la veille. Pour les grandes entreprises, la hausse est de 4,2 %. Les petites entreprises ? C’est 6,5 %.

Ah oui : les alumineries, elles, bénéficient d’un prix de l’électricité qui varie en fonction du prix de l’aluminium.

Ne cherchez pas une logique dans ce fatras de mesures disparates : il n’y en a pas. Pas plus que d’équité, d’ailleurs. Aujourd’hui, les PME du Québec hurlent à l’injustice et elles ont bien raison.

Mettez-vous à leur place : elles sont les seules à voir la totalité de l’inflation se refléter dans leur facture d’électricité. Et ce, alors que 59 % d’entre elles traînent encore des dettes provenant de la pandémie1, que la pénurie de main-d’œuvre les frappe de plein fouet et que plusieurs commerces, dont les restaurateurs, viennent de subir des pertes importantes à cause des pannes électriques.

Il ne s’agit pas de s’opposer à toute hausse des tarifs d’électricité. À voir comment on la gaspille au Québec, on peut même plaider que ces augmentations pourraient être bénéfiques.

Mais il faut que ces hausses soient appuyées sur des analyses rigoureuses. Pas sur des décisions politiques qui changent au gré de la météo.

Aujourd’hui, la seule raison pour laquelle les grandes entreprises font face à une hausse de tarif plus faible que celle des PME est qu’elles ont une plus grande force de lobbying auprès du gouvernement.

C’est vraiment comme ça qu’on veut gérer les choses au Québec ?

Ça allait pourtant bien avant que la CAQ ne décide, contre l’avis d’à peu près tout le monde, de réparer ce qui n’était pas brisé.

Ce serait très drôle si ce n’était pas si désolant : le projet de loi de la CAQ à l’origine du bordel actuel s’intitulait Loi visant à simplifier le processus d’établissement des tarifs de distribution d’électricité.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le gouvernement a raté son coup.

Avant, les hausses d’électricité étaient décidées par un tribunal indépendant : la Régie de l’énergie.

Chaque année, Hydro-Québec faisait ses demandes pour de nouveaux prix de l’électricité en fonction de ses projections de revenus et de dépenses. La Régie entendait les gens concernés par ces hausses, dont les consommateurs tant résidentiels qu’industriels. Puis elle tranchait.

Le processus était peut-être lourd, mais cette lourdeur était le prix de la rigueur. Le système fonctionnait. Et il était apolitique.

En 2019, la CAQ a décidé que la Régie ne se mettrait le nez dans les tarifs d’électricité que tous les cinq ans. Entre-temps, les tarifs seraient arrimés à l’inflation. Tout le monde et sa sœur ont prévenu le gouvernement que ça pourrait mal tourner, mais Québec a fait la sourde oreille.

Ça a mal tourné.

Quand l’inflation postpandémie s’est emballée, les tarifs d’électricité ont suivi. Pour calmer la grogne des consommateurs, le gouvernement a dû pondre un nouveau projet de loi qui plafonne – arbitrairement – la hausse des tarifs à 3 %.

Ce plafond, qui devait initialement s’appliquer aussi aux petites entreprises, n’a finalement été appliqué qu’aux consommateurs résidentiels.

Les grands consommateurs qui bénéficient du fameux tarif « L », eux, ont réussi à échapper à toute cette nouvelle mécanique. C’est encore et toujours la Régie de l’énergie qui fixe leur tarif selon la bonne vieille méthode.

Le résultat est une courtepointe de mesures qui n’a plus ni logique ni cohérence.

On le constate en voyant qu’Hydro-Québec engrange actuellement des profits records – une situation qui, normalement, inciterait à adopter des hausses de tarifs plus modestes.

Notre électricité se fait rare et est appelée à jouer un rôle crucial dans la transition énergétique qui s’amorce. Son prix représente un enjeu important qui ne peut faire l’objet d’autant de désinvolture.

Les hausses disparates entrées en vigueur ce mois-ci le confirment : il est grand temps de retirer le contrôle des tarifs d’électricité aux politiciens pour le redonner à la Régie de l’énergie.

1. Consultez le graphique de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) sur la santé des PME Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion