Quelle terrible ironie du sort !

Alors qu’au moins sept personnes sont disparues dans l’incendie d’un immeuble du Vieux-Montréal qui abritait des Airbnb illégaux, le gouvernement du Québec s’apprête à ouvrir la porte encore plus grande à la location à court terme.

Malgré tous les risques que cela comporte.

Primo, les risques pour la sécurité, comme les assureurs l’ont compris depuis longtemps. Ce n’est pas pour rien qu’ils exigent des primes considérablement plus élevées pour les logements offerts en location à court terme, quand ils ne refusent pas carrément de les assurer.

C’est qu’ils savent que les risques d’intrusion, de vol et d’incendie sont plus élevés, notamment en raison du va-et-vient des locataires à des heures tardives ou encore de leur méconnaissance des règles d’utilisation de certains appareils comme les foyers.

Secondo, les risques d’accroître la crise de l’habitation qui sévit à travers la province, ce dont la Coalition avenir Québec (CAQ) n’a pas l’air de se rendre compte.

La location à court terme à des fins touristiques exacerbe la pénurie, en retirant jusqu’à 0,5 % des logements sur le marché dans certaines régions, selon les calculs du Groupe de recherche en politique et en gouvernance urbaine de McGill.1

Ces chiffres peuvent sembler bas. Mais ils ont un impact significatif quand on sait que les taux d’inoccupation sont extrêmement faibles : 2,3 % à Montréal, 1,5 % à Québec et même 0,8 % à Gatineau.

Et bien sûr, la pénurie fait grimper les prix. Dans la métropole, le loyer d’un appartement de deux chambres a bondi de 14,5 % pour les unités qui ont accueilli de nouveaux occupants en 2022, selon la SCHL.2

Dans ce contexte, on s’explique mal la décision de la CAQ de permettre, à partir du 25 mars, la location à court terme pour toutes les résidences principales, même lorsque la réglementation municipale l’interdit, comme c’est le cas dans bien des secteurs, notamment le Vieux-Montréal.

Les municipalités se sont rebiffées contre cette nouvelle disposition qui érige pratiquement en droit fondamental la possibilité de louer sa résidence principale à court terme. Québec leur a finalement permis de se soustraire à la règle, en organisant un référendum. Mais bien peu l’ont fait, selon un récent coup de sonde du Devoir.3

Certains diront qu’il n’y a pas trop à s’en faire avec la location d’une résidence principale par son propriétaire occupant qui veut simplement arrondir ses fins de mois en louant lors de son absence.

Après tout, il s’agit du véritable modèle de l’économie de partage comme en 2008, lorsque les fondateurs d’Airbnb ont eu l’idée d’installer un matelas gonflable dans leur salon pour offrir le gîte aux visiteurs de San Francisco… d’où le nom d’origine « Air Bed and Breakfast ».

Mais aujourd’hui, la location à court terme est dominée par des intérêts commerciaux. À Montréal, 10 % des hôtes accaparent 63 % des revenus. Et la moitié des annonceurs ont plus d’une inscription. Si l’on se fie au site web d’analyse de données Inside Airbnb, Linda en a 99, Samuel, 70, Claude, 66, Kasba, 61…

Résidence principale ? Résidence strictement offerte en location ? Bien malin l’inspecteur qui fera la part des choses. La nouvelle règle va donc rendre encore plus pénible la surveillance déjà extrêmement déficiente.

À Montréal, l’écrasante majorité (92,5 %) des logements offerts sur Airbnb n’ont pas l’enregistrement requis, selon Inside Airbnb. Ils n’ont pas grand-chose à craindre, car l’annonce d’Airbnb ne précise ni le nom de l’hôte, ni l’adresse du logement. Les inspecteurs doivent donc réserver pour obtenir l’information au cas par cas.

C’est complètement insensé. Airbnb se défile, pendant que Québec et Montréal se renvoient bêtement la balle. Il est temps de jouer en équipe. De forcer les Airbnb de ce monde à collaborer pour que leurs annonces soient en règle.

C’est la voie qu’a adoptée Vancouver où il n’y a plus que le quart (28,5 %) des annonceurs sans licence.

Et c’est le premier geste qu’on devrait poser si on veut résoudre la crise de l’habitation et resserrer la réglementation de la location à court terme pour prévenir des catastrophes comme celle du Vieux-Montréal.

1 Consultez l’article du Groupe de recherche en politique et en gouvernance urbaine de McGill (en anglais, à télécharger) 2 Consultez le rapport sur le marché locatif de la SCHL 3 Lisez l’article du Devoir : « Airbnb bientôt permis dans presque toutes les résidences principales du Québec » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion