On croirait le scénario d’un film.

Un juge renommé, en voyage en Arizona pour prononcer un discours rendant hommage à une illustre magistrate – aujourd’hui à la retraite –, se fait tabasser par un ancien Marine américain.

On apprend par la suite que l’altercation pourrait être le résultat d’un baiser et d’attouchements sans consentement de la part du juge, dont deux femmes auraient été victimes. C’est du moins ce que soutiennent une mère et sa fille, qui étaient en compagnie de l’ancien militaire.

Le principal intéressé, lui, nie catégoriquement les allégations. Mais sa brillante carrière se retrouve malgré tout en suspens alors qu’on cherche à faire la lumière sur ce qui s’est passé.

On croirait un film, donc, mais si vous avez suivi l’actualité récente concernant la Cour suprême du Canada, vous savez pourtant que tout ça s’est vraiment produit.

Le juge en question se nomme Russell Brown. Il a 57 ans et siège au plus haut tribunal du pays depuis qu’il y a été nommé par le premier ministre Stephen Harper en 2015.

Et cette affaire perturbe actuellement le fragile équilibre qui règne généralement à la Cour suprême. Entre autres parce que, pour une période indéterminée, le tribunal se retrouve avec huit juges plutôt que neuf.

Il ne sert à rien de s’alarmer outre mesure. Ce n’est pas une situation inédite. Ça s’est par exemple produit il y a quelques années lorsque la candidature du juge Marc Nadon (lui aussi nommé par Stephen Harper) avait été contestée, puis invalidée.

Des jugements peuvent être rendus à sept juges plutôt qu’à neuf. Ce n’est pas, non plus, chose rare. Le quorum du tribunal est atteint avec cinq juges. Il pourrait même être de quatre juges « avec l’accord des parties en cause », précise-t-on dans la Loi sur la Cour suprême.

L’absence d’un juge ne compromet donc pas les activités du tribunal. Mais il est évidemment plus facile d’organiser le travail à la Cour suprême lorsque tous les juges sont disponibles.

On peut aussi croire qu’une absence prolongée du juge Brown sera déplorée par ceux qui estiment qu’il représente une voix importante pour l’autonomie des provinces, par exemple. Ou par ceux qui ne verront pas d’un bon œil l’idée de voir le tribunal privé d’un de ses juges les plus conservateurs.

Mais l’enjeu le plus sérieux auquel le tribunal pourrait être confronté est la question de la confiance à son égard, en lien avec la controverse actuelle.

Le juge Brown est bien sûr présumé innocent. Mais la nature des allégations concernant ce magistrat est déjà, en soi, problématique.

On s’attend à une conduite irréprochable de la part des juges. Et la décision qui sera rendue par le Conseil canadien de la magistrature – qui se penche actuellement sur ce cas – sera d’une importance capitale.

« Les juges doivent s’efforcer d’avoir une conduite qui leur mérite le respect du public et ils doivent cultiver une image d’intégrité, d’impartialité et de bon jugement », en cour ou hors cour, précise-t-on dans le document du Conseil canadien de la magistrature qui dicte les principes de déontologie judiciaire.

Permettez-nous par ailleurs de déplorer le peu de transparence dont on a fait preuve jusqu’ici à ce sujet, tant du côté du tribunal que de celui du Conseil canadien de la magistrature.

Le dépôt de la plainte contre le juge Brown remonte à la fin du mois de janvier, mais des (trop maigres) détails n’ont été offerts qu’au début du mois de mars.

Faut-il rappeler que l’opacité n’est pas un gage de légitimité pour le tribunal, bien au contraire ?

Il importe non seulement que le processus en cours soit aussi juste et équitable que rapide, mais qu’on trouve des façons de le rendre le plus transparent possible.

Il en va de la réputation du plus haut tribunal du pays.

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