C’est lorsque la marée se retire qu’on voit ceux qui se baignent tout nus.

Cette citation cocasse du célèbre investisseur américain Warren Buffett trouve tout son sens à la lumière de la déconfiture de la Silicon Valley Bank aux États-Unis et de Credit Suisse en Europe, ces derniers jours.

Voilà un premier avertissement de l’effet brutal que peut avoir une remontée éclair des taux d’intérêt, comme celle qui a fait éclater la bulle des technos en 2000 et qui a déclenché la crise du crédit en 2008.

Voilà qu’il faut à nouveau sortir les bouées de sauvetage pour rescaper les banques qui ont pris trop de risques durant la pandémie, alors qu’emprunter ne coûtait rien et que tout le monde nageait dans l’argent.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines, car on « célèbre » le premier anniversaire du début du resserrement des taux d’intérêt, qui met généralement de 12 à 18 mois avant de faire effet.

Alors qui sera le prochain à boire la tasse ?

Rassurez-vous, les banques canadiennes ont des assises solides. On peut lever notre chapeau à nos régulateurs, notamment le Bureau du surintendant des institutions financières, qui a toujours tenu leur bride serrée. C’est ce qui a permis au Canada de traverser la crise de 2008 avec moins d’égratignures que d’autres pays.

Mais cela ne veut pas dire que nous sommes à l’abri pour autant. Le Canada a ses vulnérabilités. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil du côté des hypothèques.

Allez-y ! C’était le mot d’ordre du gouverneur de la Banque du Canada, au début de la pandémie, qui a envoyé un signal sans équivoque en affirmant que les taux d’intérêt resteraient bas très longtemps. Erreur !

Les Canadiens l’ont écouté. Comment les blâmer ?

Ils ont acheté des maisons, en optant en grand nombre pour une hypothèque à taux variable. Ils ne voyaient pas le danger, surtout que les trois quarts de ces hypothèques ont des paiements fixes. Cela fait en sorte que la mensualité ne bouge pas lorsque les taux montent. Il y a simplement une plus grande portion du remboursement qui sert à payer les intérêts, plutôt qu’à rembourser le capital.

Mais quand les taux d’intérêt grimpent trop, il arrive un point où le paiement mensuel n’est plus suffisant pour couvrir les intérêts. Aujourd’hui, 73 % de ces hypothèques ont atteint le point de rupture, si l’on se fie à une évaluation de la Banque du Canada.

Conséquence ?

Certains prêteurs forcent leurs clients à augmenter leur paiement, ce à quoi ils ne s’attendaient pas. D’autres banques permettent un « amortissement négatif » qui augmente le solde d’un mois à l’autre et étire la période nécessaire pour rembourser le prêt.

Autrement dit, on pellette par en avant. Mais gare au prochain renouvellement ! Il ne faudra pas s’étonner de voir des mensualités bondir de 1500 $ à 2500 $.

Ce ne sera pas facile à avaler pour les ménages qui voient les paiements grimper, alors que la valeur des maisons a connu un repli historique de 11 % au Canada depuis le sommet de mai 2022, selon l’indice Teranet-Banque Nationale.

Pour l’instant, les ménages tiennent bon. Ils continuent à dépenser grâce au coussin d’épargne accumulé durant la pandémie. À la fin de 2022, les Canadiens avaient encore 350 milliards d’économies de plus qu’avant la COVID-19, selon la BDC.

Mais surtout, les ménages tiennent le coup parce qu’ils ont du boulot. Le taux de chômage est tout près d’un creux historique, en raison de la pénurie de main-d’œuvre qui sera bien difficile à inverser compte tenu de la démographie.

Dans ce contexte, les banques centrales auront du mal à casser la spirale inflationniste qui s’est emparée des salaires et garde l’inflation élevée, à 5,9 %.

Pour ramener l’inflation à la cible de 2 %, les banques centrales pourraient devoir garder les taux d’intérêt élevés plus longtemps qu’on le pense, ce qui n’est pas plus réjouissant.

Bref, on est coincé entre deux feux : l’inflation et les taux d’intérêt.

Tout cela se terminera-t-il fatalement en récession ? Douce ou profonde ? Les économistes s’obstinent là-dessus. Mais pendant ce temps, les inégalités s’accentuent.

La hausse des taux d’intérêt fait particulièrement mal aux jeunes, alors que l’immobilier n’a jamais été aussi inaccessible depuis une génération. Et la hausse du coût de la vie frappe davantage les moins nantis qui ne peuvent pas couper dans le gras.

Ces fossés qui se creusent peuvent nous mener vers un climat social plus délétère, si on n’y prend garde.

Plus que jamais, le mot d’ordre doit être : prudence. Pour les gouvernements qui déposeront leur budget au cours des deux prochaines semaines, à Québec et à Ottawa. Mais aussi pour les entreprises et les ménages.

Ce n’est pas le temps de prendre des risques.

Déjà, les cas d’insolvabilité ont bondi de 33 % chez les consommateurs et de 55 % chez les entreprises, en janvier, au Canada. Au cours des prochains mois, on va découvrir ceux qui se baignent tout nus.

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