Le gouvernement Trudeau a-t-il enfin compris qu’il faut brasser un peu l’oligopole des grandes compagnies de télécoms si on veut réduire les prix pour les consommateurs ?

Il y a un mois, le fédéral a donné des directives au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour que les services de télécoms soient plus abordables et qu’il y ait davantage de concurrence dans ce secteur.

Et la semaine dernière, le CRTC a donné son premier indice qu’il tentera de stimuler la concurrence dans l’accès à l’internet. Le régulateur veut changer les règles d’accès et diminuer les tarifs de gros pour favoriser les petits fournisseurs indépendants.

Ottawa vient donc de se réveiller. Mieux vaut tard que jamais.

Il est effectivement tard. Très tard.

Car en 2021, Ottawa a pris une décision catastrophique pour la concurrence en télécoms.

En 2019, dans l’espoir de favoriser la concurrence, le CRTC a diminué de façon très importante (jusqu’à 90 %) les tarifs que les grands fournisseurs exigent aux petits fournisseurs indépendants (ex. : TekSavvy, Bravo Télécom, Transat Télécom) pour utiliser leurs réseaux. Les fournisseurs indépendants, qui détenaient 10 % du marché, offrent souvent des prix moins chers aux consommateurs.

Les géants des télécoms ont protesté auprès du gouvernement Trudeau, et celui-ci a cédé. Il a demandé au CRTC de refaire ses calculs. Traduction : gardez les géants des télécoms (ex. : Bell, Telus, Rogers, Vidéotron) contents. En 2021, le CRTC a obtempéré et annulé les baisses de tarifs qu’il voulait consentir.

Cette volte-face a sonné l’arrêt de mort de plusieurs fournisseurs indépendants, ou bien leur rachat par les grandes compagnies de télécoms. À travers le pays, le nombre de véritables fournisseurs indépendants est passé de 32 à 16 en trois ans.

Au Québec, la quasi-totalité des fournisseurs indépendants les plus menaçants a été rachetée par les grandes compagnies. Au Québec, Bell a acheté Ebox (90 000 clients) et Distributel (200 000 clients), Telus a acheté Altima (60 000 clients), Cogeco a acheté oxio. Ebox, Distributel, Altima et oxio resteront des marques distinctes à faible coût (fightning brands ou flacker brands). Pour les consommateurs, c’est mieux que rien, mais ce n’est pas l’idéal. « Le tiers indépendant va être plus agressif [qu’un fighting brand], car il n’a pas besoin de protéger sa propre marque principale », dit Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal.

En 2019, les fournisseurs indépendants représentaient environ 10 % du marché de l’accès à l’internet. Actuellement, les véritables indépendants ne représenteraient plus qu’entre 4 % et 6 % du marché, selon les estimations. Sauf peut-être TekSavvy (300 000 services clients au Canada), aucun fournisseur indépendant n’a plus de 30 000 clients au Québec.

Bref, on a perdu énormément de concurrence. Et moins de concurrence égale moins de pression sur les prix.

Pendant ce temps, les Canadiens paient toujours cher pour leur accès à l’internet : pour un forfait de vitesse moyenne, le Canada arrive au 3e ou au 1er rang des pays les plus chers sur huit pays comparables (G7 + Australie)1. On a droit à des réseaux de télécoms d’excellente qualité, mais on les paie cher.

Maintenant que les petits fournisseurs ont tous un ou deux genoux à terre, le fédéral veut inverser la tendance.

La nouvelle présidente du CRTC, Vicky Eatrides, est une avocate spécialisée en droit de la concurrence. On est encouragé que sa première décision, rendue la semaine dernière, aille dans le sens d’une plus grande concurrence. On va toutefois attendre avant d’applaudir. Des consultations auront lieu au cours des prochains mois. Le CRTC rendra ensuite sa décision finale. Pour faire une réelle différence, l’organisme réglementaire doit diminuer les tarifs en gros de façon significative, particulièrement pour l’accès à la fibre optique dans les maisons.

On n’a pas de machine à voyager dans le temps pour annuler la décision de 2021. Il faut espérer qu’il ne soit pas trop tard pour accroître la concurrence. Et qu’Ottawa ne cède pas à nouveau devant les géants des télécoms.

1. Consultez le rapport : « Comparaisons des tarifs des services filaires, sans fil et Internet offerts au Canada et à l’étranger. Édition de 2022 » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion