C’est tout sauf logique : plus les révélations troublantes sur les tentatives d’ingérence chinoise dans les élections fédérales se multiplient, plus Justin Trudeau se braque.

Plus ces allégations démontrent qu’une enquête indépendante s’impose dans ce dossier, moins le premier ministre semble favorable à une telle initiative.

Plus des voix s’élèvent pour réclamer une telle enquête, plus il semble vouloir l’éviter.

Justin Trudeau n’a pourtant plus le choix.

La confiance à l’égard de la démocratie est ébranlée.

Et l’intégrité de notre système électoral est trop précieuse pour qu’on puisse laisser de tels doutes planer à son sujet.

Une enquête au sujet de l’ingérence chinoise est aujourd’hui indispensable.

Il est urgent d’en déclencher une.

On comprend bien que le sujet est extrêmement délicat tant pour Justin Trudeau que pour sa formation politique.

Selon les allégations qui circulent, ce sont les libéraux qui auraient davantage bénéficié de l’intervention politique de Pékin dans notre processus électoral, même si on rapporte que le Parti conservateur en aurait profité lui aussi.

Les plus récentes fuites dont a bénéficié le Globe and Mail portent d’ailleurs sur une initiative qui visait spécifiquement Justin Trudeau.

Selon une source citée par le quotidien, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aurait intercepté une conversation en 2014 entre un diplomate chinois au Canada et le milliardaire Zhang Bin. Ce dernier aurait été sommé de faire un don d’une valeur de 1 million de dollars à la Fondation Trudeau. On lui aurait dit que cet argent lui serait remboursé par le gouvernement chinois.

Un an plus tard, Zhang Bin ainsi qu’un autre milliardaire chinois offraient 1 million de dollars pour « honorer » Pierre Elliott Trudeau, dont 200 000 $ versés à la fondation qui porte son nom.

Lundi, tentant vraisemblablement de calmer le jeu, le premier ministre a annoncé qu’un rapport avait été commandé l’été dernier pour évaluer le travail du groupe d’experts responsable du Protocole public en cas d’incident électoral majeur lors des élections fédérales de 2021. Ce dernier a été mis sur pied en 2019 pour se pencher sur l’ingérence étrangère lors des scrutins.

Mais le rapport, publié mardi, a été rédigé… par un ancien PDG de la Fondation Pierre Elliott Trudeau (Morris Rosenberg). Il occupait ce poste lors du don offert par Zhang Bin.

Ça ne s’invente pas ! Et ça ne nous rassure pas (même si ce rapport indique que le groupe d’experts n’a pas détecté d’ingérence étrangère menaçant la capacité du Canada « de tenir des élections libres et équitables »).

On a aussi appris ces derniers jours que le SCRS aurait recommandé à l’entourage de Justin Trudeau en 2019 de s’opposer à la candidature du politicien ontarien Han Dong (élu cette année-là), parce qu’il aurait bénéficié de l’ingérence chinoise.

Ce dernier a nié catégoriquement et Justin Trudeau a soutenu que la publication de telles allégations est « dommageable pour la confiance de la population ».

Monsieur le premier ministre, il existe un moyen infaillible de la rétablir, cette confiance : une enquête indépendante.

Nous ne sommes pas les seuls à le penser.

Nous avons révélé dans un éditorial mercredi dernier que l’ancien directeur général des élections du Canada, Jean-Pierre Kingsley, est favorable à une telle enquête.

Or, depuis, on a assisté à une véritable réaction en chaîne. Plusieurs experts et personnalités publiques ont soutenu cette idée, y compris l’ancien conseiller de Justin Trudeau, Gerald Butts – il réclame qu’on se penche sur l’ingérence de façon générale dans les élections fédérales.

À Ottawa, lundi, le NPD et le Bloc ont à leur tour réclamé une enquête indépendante.

Ils ont raison.

Le premier ministre devrait se rendre à l’évidence. D’autant plus que sur le plan politique, il s’agirait pour lui de la meilleure façon de mettre fin à ce qui s’apparente à une véritable séance de torture.

C’est comme s’il était soumis au supplice de la goutte.

Chaque jour amène de nouveaux éléments qui nous laissent croire qu’il existe depuis de nombreuses années une stratégie élaborée de la part de Pékin pour s’ingérer dans notre processus démocratique.

Justin Trudeau doit sonner la fin de la récréation et annoncer l’ouverture d’une enquête publique.

Lisez notre éditorial du 22 février Consultez le rapport de Morris Rosenberg Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion