Dérapage. Perte de contrôle. Voyez ça comme vous voudrez, mais la session parlementaire a bien mal démarré à Ottawa pour les libéraux qui ont autant de difficulté à livrer les services à la population qu’à nommer les bonnes personnes dans les postes symboliques.

La malencontreuse nomination d’Amira Elghawaby comme représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie nous mène à deux constats.

De un, Justin Trudeau a beaucoup de talent pour se mettre les pieds dans les plats en faisant des nominations à la va-vite, sans consultation. Une simple analyse des écrits de Mme Elghawaby aurait permis de constater son mépris envers le Québec, de la même manière que des vérifications d’usage auprès des employeurs précédents de l’ancienne gouverneure générale Julie Payette auraient fait ressortir qu’elle traitait ses employés sans ménagement.

De deux, le premier ministre manque de sensibilité envers le Québec et le français de manière plus large, comme on l’a vu récemment avec la nomination hautement critiquable d’une lieutenante-gouverneure unilingue anglaise au Nouveau-Brunswick, une province pourtant officiellement bilingue.

Avec la nomination de Mme Elghawaby, Justin Trudeau paraît déconnecté non seulement du Québec, mais aussi de son propre caucus, puisque le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, et celui de la Justice, David Lametti, n’ont pas hésité à exprimer leur malaise, dans un rare mouvement de dissension qui n’augure rien de bon après huit ans de pouvoir.

Pourtant, Justin Trudeau n’a pas le luxe de se mettre l’est du pays à dos, car le Québec et l’Atlantique sont les seules zones où les libéraux conservent l’avantage, alors que les conservateurs affichent l’avance la plus importante (8 points) dans les intentions de vote des Canadiens depuis l’accession des libéraux au pouvoir en 2015, selon un récent sondage Abacus.

Ce que ce sondage indique aussi, c’est que la majorité des Canadiens considèrent que le gouvernement Trudeau ne porte pas assez d’attention aux enjeux clés, comme la hausse du coût de la vie, le prix de l’immobilier, la croissance économique, la réduction du déficit et la livraison des services publics.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a le beau jeu de fouetter cette insatisfaction, à coups de slogans répétitifs qui ne font que gratter le bobo, sans apporter de remède. Mais soyons francs, l’inflation est un problème mondial dont Justin Trudeau n’est pas responsable. Et de toute façon, c’est à la Banque du Canada, pas au gouvernement, de ramener les prix sur terre.

Par contre, il faut avouer que ça dérape du côté de la prestation de services publics, et ce, malgré une augmentation du nombre de fonctionnaires (+ 24 %) et aussi des contrats de consultation externe (+ 42 %), depuis 2015, selon une analyse du Globe and Mail.

Après le cauchemar des passeports et des aéroports, ce sont maintenant les prestataires de l’assurance-emploi qui s’arrachent les cheveux. Presque le quart des demandes ne sont pas traitées à l’intérieur du délai normal de 28 jours, rapportait Radio-Canada cette semaine.

Et Service Canada a parfois le culot de répondre aux chômeurs qui n’arrivent plus à payer leurs comptes de se tourner vers les banques alimentaires ou de se faire vivre par leur mari. Une honte.

Or, la pression sur les services publics pourrait monter d’un cran ce printemps, alors que 165 000 fonctionnaires fédéraux qui veulent des augmentations de salaire plus élevées que celles offertes par Ottawa menacent de déclencher une grève qui pourrait survenir en pleine période des impôts.

Malgré les conséquences politiques très fâcheuses d’un tel conflit de travail, le gouvernement Trudeau doit rester prudent, car son chéquier commence à être moins bien garni et plusieurs risques guettent nos finances publiques, comme le souligne une publication récente de la firme Bennett Jones, à laquelle a contribué l’ancien gouverneur de la Banque du Canada David Dodge.

D’abord, il existe une forte probabilité que la récession soit plus forte que prévu en 2023. Ensuite, il est fort possible que l’inflation reste élevée plus longtemps qu’on pense, et donc les taux d’intérêt aussi. Enfin, le gouvernement devra faire face à une série de dépenses additionnelles pour atteindre ses objectifs.

Gouverner, c’est choisir, dit-on. Dans le contexte actuel, les libéraux doivent donc se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire :

  • S’entendre sur le financement de la santé avec les premiers ministres des provinces que Justin Trudeau a convoqués mardi.
  • S’assurer que les entreprises canadiennes tirent leur épingle du jeu dans la transition verte, alors que les Américains déploient des sommes colossales avec l’Inflation Reduction Act.
  • Améliorer la qualité des services publics.
  • Se concerter avec les provinces et les municipalités pour lutter contre la crise du logement.
  • Sans oublier la guerre en Ukraine qui nous met en plein visage la nécessité de réinvestir dans les dépenses militaires.

Bref, à l’approche du prochain budget, Ottawa doit rester très ciblé s’il veut éviter que nos finances publiques dérapent… à l’image de cette rentrée parlementaire difficile.

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