On attendait un plan pour l’éducation. Le ministre Bernard Drainville nous a plutôt servi une liste d’épicerie qui nous laisse sur notre faim.

Ce n’est pas que les ingrédients sont mauvais. Au contraire, les sept priorités qu’il a mises de l’avant jeudi ont du mérite. Mais avec sept ingrédients, on peut autant cuisiner un mets digne de Bocuse qu’un plat complètement raté.

Tout dépend de la recette. Et c’est ce qui manque pour l’instant.

En fait, il manque une vision d’ensemble reposant sur un état des lieux complet, avec des mesures concrètes pour résoudre les enjeux les plus criants, avec aussi des cibles et un échéancier précis pour mesurer les progrès. Bref, un vrai plan.

Mais donnons la chance au coureur. Bernard Drainville est en poste depuis trois mois. Tout le monde souhaite qu’il réussisse, là où tant d’autres ont échoué.

Pour l’instant, la liste d’épicerie de Bernard Drainville permet à la Coalition avenir Québec (CAQ) de temporiser, de montrer au public qu’elle est en contrôle de la situation. Mais il ne suffit pas d’identifier les problèmes pour qu’ils se règlent par magie. Parlez-en au ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

Des problèmes, il n’en manque pas dans nos écoles. L’actualité de la semaine dernière en a encore fait la triste preuve.

D’abord, notre collègue Marie-Eve Morasse a révélé que les résultats du dernier examen de français en 5e secondaire avaient dégringolé presque partout à travers le Québec, ce qui ne s’explique pas seulement par la pandémie1.

Il faudrait un électrochoc pour revaloriser le français, comme nous l’avons déjà plaidé.

Tant mieux, le ministre place le français en haut de sa liste de priorités… mais sans offrir de détails, ce qui est étonnant puisque la CAQ avait promis une réforme en profondeur de l’enseignement du français, lors de la dernière campagne.

Autre sujet d’inquiétude : notre collègue Louise Leduc nous a appris que certains enfants en difficulté passent directement de la 5e année du primaire à la 1re secondaire, parce qu’on ne veut pas les faire redoubler deux fois2.

Au centre de services scolaire de Montréal, 5 % des élèves s’en allant au secondaire sont dans cette situation. C’est loin d’être banal. Combien y en a-t-il à travers la province ? Aucune idée !

Car au Québec, il n’y a pas que les élèves qui ont du mal à compter. Le ministère de l’Éducation aussi. Trop souvent, les données éparpillées à travers les 72 centres de services ne sont pas centralisées.

Pardon, on est en 2023. Est-ce trop demander que d’avoir un tableau de bord pour savoir où on s’en va ?

Mais revenons aux élèves en difficulté. Au tournant du millénaire, on a choisi de les intégrer dans les classes ordinaires, pour favoriser l’émulation. Soit. Mais le soutien promis n’a pas suivi. Alors les professeurs se retrouvent seuls avec un trop grand nombre d’élèves à besoins particuliers.

Résultat ?

On bourre les enfants de psychostimulants, à coup de surdiagnostics du trouble du déficit d’attention avec hyperactivité (TDAH). C’est particulièrement vrai pour les « bébés de classe » nés en juillet, août et septembre, révélait notre collègue Katia Gagnon3.

La proportion de jeunes de moins de 24 ans prenant des psychostimulants est passée de 1,9 % à 7,7 % depuis 20 ans, au Québec, où on prescrit davantage que dans toute autre province. C’est hautement préoccupant. En 2020, un groupe de 15 experts a remis un rapport avec 17 recommandations. Et depuis ? Rien. Il est temps que ça bouge.

Pendant ce temps, les enseignants sont au bout du rouleau. Ils quittent prématurément la profession, ce qui alimente la pénurie de main-d’œuvre. Une spirale malsaine.

Heureusement, le ministre promet du renfort dans les classes, notamment en faisant appel aux éducatrices en services de garde, une solution ingénieuse pour donner un répit aux professeurs, même si ça ne remplacera jamais un orthopédagogue ou un autre spécialiste.

Bernard Drainville fait aussi un choix judicieux en décidant de rétablir une voie rapide pour qu’un bachelier obtienne son brevet d’enseignement après seulement un an de formation. C’est logique quand on sait que le titulaire d’un baccalauréat ou d’une maîtrise, par exemple en chimie, peut enseigner cette matière au cégep, sans aucun certificat d’enseignement.

Mais ces mesures ne visent qu’à éteindre les feux.

Que fera-t-on pour s’attaquer à la question centrale de la réussite scolaire ? Au Québec, presque le quart des élèves ne terminent pas leur secondaire en cinq ans, et les garçons sont considérablement à la traîne. Il est urgent d’agir, car la pénurie de main-d’œuvre rend le décrochage scolaire encore plus tentant.

Oui, d’accord, une des priorités de Bernard Drainville est de « rendre le réseau scolaire plus performant ». On ne peut pas être contre la vertu. Mais tout cela est tellement vague que ça ne veut rien dire.

On veut bien donner le temps au ministre de fignoler sa recette. Mais à la fin, la preuve sera dans le pudding, comme disent les anglos.

1. Lisez « Épreuve de 2022 : dégringolade en français écrit » 2. Lisez « Pas de 6année pour des enfants en difficulté » 3. Lisez « Les « bébés de classe » plus souvent étiquetés TDAH » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion