Alors que le système de justice est au bord de l’implosion, faute de financement adéquat, la Chambre des notaires, elle, nage dans l’argent. Votre argent. Il est temps que la ministre Sonia LeBel, responsable du Code des professions, fasse le ménage.

C’est la mécanique du Fonds d’études notariales qu’il faut redessiner. Ce fonds a accumulé un petit trésor de 139 millions à la faveur du boom immobilier et de la remontée des taux d’intérêt. Il a pour mission de récolter les intérêts sur les sommes qui transitent, quelques heures ou quelques jours, par les comptes en fidéicommis des notaires lors de l’achat d’une propriété.

C’est donc de l’argent des clients que l’on parle. En toute logique, cet argent doit revenir au public, à travers le financement de diverses missions d’aide, d’éducation ou de recherche juridique. Pas aux notaires.

Mais depuis des années, l’utilisation des sommes accumulées dans le Fonds d’études notariales fait tiquer pour toutes sortes de raisons.

De un, il n’est pas normal qu’il puisse servir à renflouer le Fonds d’indemnisation de la Chambre des notaires, comme cela s’est déjà produit pour régler un flot de réclamations reliées à des flips immobiliers, dont certaines remontaient à 2007. Un cas exceptionnel, assure la Chambre. On ose le croire. Mais il reste inadmissible que l’argent du public finisse par indemniser un client lésé par un notaire qui a utilisé l’argent confié à d’autres fins.

De deux, il n’est pas souhaitable que le Fonds d’études notariales permette de financer « la qualité des services professionnels des notaires ». On entre ici dans un flou dangereux où la ligne entre les intérêts du public et ceux de la profession notariale est difficile à tracer.

L’an dernier, par exemple, l’Association professionnelle des notaires du Québec (APNQ) et l’Union des notaires du Québec (UNQ) ont reçu 1,2 million chacune sur deux ans, comme l’écrivait récemment notre collègue Louise Leduc. Pourtant, ces associations sont des lobbys voués à la défense des intérêts des notaires. Pas à la protection du public.

Lisez le texte de Louise Leduc

De trois, il est pour le moins dérangeant de voir la Chambre transférer 16 millions de dollars par année du Fonds d’études notariales vers son propre fonds général. La Chambre explique que l’argent a quand même été utilisé en respectant le mandat du Fonds d’études notariales. Soit. Mais ce transfert n’en reste pas moins fort critiquable, car on étire les balises prévues dans la loi.

Si la Chambre des notaires manque d’argent pour boucler son budget, elle n’a qu’à augmenter les cotisations de ses membres… ou réduire ses dépenses qui, toutes proportions gardées, sont six fois plus élevées (6010 $ par membre) que d’autres ordres professionnels comme le Barreau du Québec (1012 $) ou l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (1037 $).

Quant au Fonds d’études notariales, il est grand temps de resserrer sa gouvernance et sa mission.

On le répète : les besoins de notre système de justice sont immenses. Dans ce contexte, il faut revenir à l’essentiel et utiliser l’argent principalement pour offrir de l’aide juridique, comme c’est le cas en Ontario, en se gardant la latitude d’investir dans l’éducation juridique, la recherche ou encore le maintien des bibliothèques de droit.

Et tout ça doit se faire de manière totalement indépendante.

Dans les autres provinces, les « law foundations » qui sont l’équivalent du Fonds d’études notariales ne se trouvent pas sous la coupe d’un ordre professionnel.

Il devrait en être de même chez nous, car ce n’est pas à la Chambre des notaires de distribuer les subventions en fonction de critères qui visent parfois à promouvoir les intérêts des notaires.

Pour changer les règles du jeu, c’est à la ministre Sonia LeBel d’agir. Son cabinet indique qu’elle a un œil sur le dossier. Tant mieux. Espérons qu’elle aura le temps de le régler rapidement, elle qui pilote les négociations pour le renouvellement des contrats de travail des 600 000 employés de l’État.

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