On ne peut pas vous dire qui gagnera la Coupe du monde de soccer, qui a débuté dimanche au Qatar.

On peut toutefois vous dire qui a déjà perdu : les démocraties libérales, les droits et libertés de la personne, les droits des travailleurs migrants, et l’intégrité du sport.

Ce n’est pas d’hier que des États autoritaires font du « sportswashing » en se servant du sport comme instrument diplomatique.

Depuis 2014, le sport mondial a carrément égaré sa boussole morale : les Jeux olympiques et la Coupe du monde de soccer ont eu lieu aussi souvent dans des pays autoritaires (Chine, Russie deux fois, Qatar) que dans des pays démocratiques (Brésil deux fois, Corée du Sud, Japon).

Pour la quatrième fois en huit ans, la Fédération internationale de football (FIFA) ou le Comité international olympique testent la théorie selon laquelle l’organisation d’un grand évènement sportif dans un pays autoritaire permet d’améliorer la situation de ce pays en l’incitant à entreprendre des réformes inspirées de nos valeurs libérales.

Ça n’a pas marché avec la Chine de Xi Jinping, qui, consciente de son pouvoir économique, fait à sa tête sur la scène internationale.

Ça n’a pas marché avec la Russie de Vladimir Poutine, qui a envahi l’Ukraine et provoqué la première guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

Une prédiction malheureuse : ça ne marchera pas non plus avec le Qatar, cet État pétrolier du golfe Persique qui vient de dépenser 220 milliards $ (!) sur 10 ans pour présenter la Coupe du monde et ainsi mousser sa réputation à l’international.

Les 32 meilleures nations de soccer – dont le Canada, une première depuis 1986 – se disputent donc la Coupe du monde dans un pays :

– qui a inauguré sept nouveaux stades (sur huit) construits par un million de migrants travaillant dans des conditions dangereuses ;

– où entre 50 et 650 travailleurs migrants par année décèdent sur les chantiers de construction (selon l’Organisation internationale du travail, il y a eu 50 morts en 2021 sur les chantiers de construction. Une enquête du Guardian arrive plutôt à 6500 décès en 10 ans) ;

– où l’homosexualité est illégale ;

– où la liberté d’expression et les droits de la personne sont quasi inexistants ;

– qui est au 114e rang sur 166 pays au classement de l’indice démocratique de The Economist ;

– qui est l’État le plus polluant de la planète (36 tonnes de CO2 par habitant) ;

– où il fait trop chaud pour jouer au soccer l’été.

Il y a 12 ans, la FIFA a fait une gigantesque erreur en accordant la Coupe du monde au Qatar. Il flotte d’ailleurs une odeur de pots-de-vin sur ce vote particulièrement indécent du comité exécutif de la FIFA, qui a préféré le Qatar aux États-Unis.

Au lieu de voir ces évènements sportifs influencer positivement les pays hôtes autoritaires, c’est le contraire qui se produit : les États de droit comme le Canada pilent sur leurs principes pour y participer.

En vue de la Coupe du monde, le Qatar a modernisé ses lois du travail et instauré un salaire minimum. Ce sont des avancées timides.

En contrepartie, les équipes doivent, au nom de la neutralité sportive exigée par la FIFA, ne pas faire de vagues et se plier aux volontés du Qatar.

On interdit aux spectateurs d’entrer dans les stades avec des vêtements arc-en-ciel pour afficher leur soutien aux droits de la communauté LGBTQ+.

La FIFA interdit aux capitaines des équipes de porter un brassard arc-en-ciel, sous peine d’un carton jaune. Sept pays européens voulaient le porter en soutien à la communauté LGBTQ+. Dans ce dossier, l’équipe canadienne a été étonnamment silencieuse, annonçant ses intentions à la toute dernière minute. Comme une recrue qui attend de voir ce que feront les autres au lieu de prendre elle-même sa décision.

Le président de la FIFA dénonce les critiques des médias à l’égard du Qatar, mais il est beaucoup plus discret sur le sort des travailleurs migrants ou les droits de la personne.

D’accord, une Coupe du monde n’est pas une assemblée générale de l’ONU.

Le sport ne peut pas tout régler.

Mais il ne devrait pas servir d’excuse pour se taire.

Même devant la campagne de « sportswashing » la plus chère de l’histoire.

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