Imaginez une situation où Ottawa aurait des milliards à accorder au Québec et voudrait forcer la province à les accepter rapidement.

Mais les élus provinciaux s’exclameraient : « Non, non ! Vos milliards, on ne les veut pas tout de suite ! Versez-les-nous plutôt dans deux ans ! »

Du pur délire imaginé par un scénariste sur l’acide ?

Non. C’est exactement ce qui se passe dans le dossier du financement des infrastructures. Et c’est sidérant.

Ce nouvel épisode de la série « Les folles tribulations des relations fédérales-provinciales » concerne le Programme d’infrastructure Investir dans le Canada, ou PIIC pour les intimes.

Budget : 33,5 milliards, dont 7,5 milliards sont réservés au Québec.

Objectif : financer, conjointement avec les provinces et les municipalités, des projets de transports en commun, d’infrastructures vertes et d’installations sportives, culturelles ou communautaires.

Cette entente bilatérale a été signée entre Ottawa et les provinces en 2018. Dans sa version originale, les provinces avaient jusqu’au 31 mars 2025 pour soumettre au fédéral des projets à financer.

Premier coup de théâtre : lors du dernier budget Freeland, en avril dernier, l’échéance a été soudainement ramenée au 31 mars 2023, soit deux ans plus tôt que prévu. Le fédéral a agi de manière unilatérale, sans consulter les provinces.

C’est… un peu spécial. Quand on signe un contrat, on en respecte les clauses.

Deuxième coup de théâtre : on a alors appris que le Québec tardait et pas qu’un peu à utiliser son enveloppe. Aujourd’hui, la province n’a même pas utilisé les deux tiers des sommes auxquelles elle a droit.

Il reste donc 2,7 milliards de projets à soumettre… d’ici à peine quatre mois, si le fédéral reste campé sur sa nouvelle échéance.

Ça aussi, c’est spécial. Compte tenu des besoins criants en infrastructure au Québec, on peut se demander pourquoi la province se montre si peu empressée à utiliser les fonds fédéraux.

L’Ontario, en comparaison, a utilisé 96 % de son enveloppe, en grande partie pour développer les transports en commun dans la région de Toronto.

On nous explique que Québec a utilisé les fonds fédéraux pour de petits projets de centres sportifs et culturels, par exemple, mais tarde à en demander pour du transport collectif ou des infrastructures vertes.

Portion de l’enveloppe du PIIC inutilisée selon les provinces

Québec : 37 %

Colombie-Britannique : 17 %

Ontario : 4 %

Source : gouvernement fédéral

Érosion des berges, conduites d’eau qui ne résistent pas à la nouvelle réalité climatique, transport collectif insuffisant et perpétuellement sous-financé : ce ne sont pourtant pas les besoins qui manquent à ce chapitre, et il y a urgence.

Cet automne, l’Union des municipalités du Québec a réclamé pas moins de 2 milliards à Québec pour adapter les villes aux changements climatiques. Tout ça pendant que des fonds dorment à Ottawa…

Ce manque d’empressement de Québec est d’autant plus inexplicable que la province s’est déjà fait prendre en laissant 350 millions sur la table d’un ancien programme d’infrastructures fédérales, le Nouveau Fonds Chantier Canada. C’est impardonnable.

Dans un autre geste provocateur, Ottawa vient d’ailleurs de verser cet argent dans son fonds consolidé plutôt que le laisser à la disposition du Québec. Pas fort non plus.

Dans ce dossier, tant Québec qu’Ottawa ont donc leurs torts. Il est toutefois clair qu’Ottawa doit laisser tomber son nouvel échéancier compressé.

On ignore si les politiciens fédéraux cherchent à lancer un nouveau programme d’infrastructures juste avant les prochaines élections, mais ils pourraient très bien le faire sans fermer les livres du programme actuel et pénaliser le Québec. Il n’est pas souhaitable que le Québec précipite 2,7 milliards d’investissements s’il n’est pas prêt. Les risques de financer de mauvais projets ou de mal les aligner sont trop grands.

Il serait encore plus odieux que d’éventuels fonds inutilisés soient retirés au Québec, même si celui-ci a manqué de réactivité.

« EN-TEN-DEZ VOUS ! », avons-nous lancé récemment aux politiciens fédéraux et provinciaux qui négocient une hausse des transferts provinciaux en santé.

Lisez l’éditorial « EN-TEN-DEZ-VOUS ! »

On leur envoie le même message.

Le citoyen ne souhaite qu’une chose : que ses taxes et ses impôts servent à financer des infrastructures modernes, adaptées à la nouvelle réalité climatique. Les besoins sont là, l’argent aussi. Il n’est pas normal que les politiciens entravent leur réalisation.

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