Il n’y a pas grand-chose de complètement neuf dans les premières solutions annoncées cette semaine par Christian Dubé pour régler la crise des urgences au Québec.

Et vous savez quoi ?

C’est un très bon signe !

Ce sont « des mesures que tout le monde connaissait, mais qui n’ont jamais été implantées », a dit Christian Dubé.

Retenez bien cette déclaration, elle est importante et on y reviendra. Mais d’abord, jetons un œil sur ces mesures.

On met sur pied un service téléphonique (une initiative baptisée « un appel, un service », par l’entremise du 811) qui pourrait permettre, dans la région de Montréal, de mieux orienter les patients de 0 à 17 ans pour qu’ils soient moins nombreux à se diriger vers les urgences.

On va créer deux cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) à Montréal, rapidement.

On a aussi commencé à acheter des places à l’extérieur des hôpitaux pour y transférer plus rapidement les patients qui n’ont plus besoin de soins hospitaliers. Rappel : ils représentent 13 % de tous ceux qui occupent les lits des hôpitaux québécois !

Ça ne devrait pas être sorcier, tout ça.

Il n’y a pas là d’idées particulièrement avant-gardistes.

Mais le fait est qu’au cours des dernières décennies, bon nombre de brillantes solutions « que tout le monde connaissait » sont mortes et ont été enterrées discrètement avant même d’avoir été testées.

Une constante : quand une solution nécessite un changement de culture (dans un établissement ou au Ministère, par exemple) ou vient chatouiller d’un peu trop près les plus ardents défenseurs du corporatisme, elle… disparaît !

Prenons le cas des infirmières praticiennes spécialisées, parce qu’il est tellement symbolique des blocages liés aux luttes de pouvoir au sein du système.

On sait que le problème des urgences est en bonne partie celui de la faiblesse de la première ligne (c’est-à-dire la porte d’entrée du réseau, comme les GMF et les CLSC).

Lisez notre éditorial « Les urgences ne débordent pas »

On sait aussi que davantage de patients doivent être pris en charge par d’autres professionnels de la santé que les médecins en première ligne. C’était au cœur du rapport – visionnaire – sur la santé de Michel Clair, publié en… en 2001 !

On sait donc depuis longtemps que les infirmières devaient prendre du galon. Pourtant, on n’a jamais véritablement maximisé leur contribution dans les services de première ligne.

L’an dernier, deux décennies après le rapport Clair, on a enfin donné plus de pouvoir aux infirmières praticiennes spécialisées — avec l’entrée en vigueur de la loi 6. Mais cette autonomie, ni ces infirmières ni le système de santé n’en profitent encore pleinement.

Alors qu’en Ontario, il y a de nombreuses cliniques « dirigées par du personnel infirmier praticien », ce modèle n’existe pas encore ici (même si deux cliniques de Québec s’en rapprochent).

Voyons voir si celles qui sont prévues à Montréal vont vraiment permettre aux infirmières d’être autonomes et d’assurer la prise en charge de patients en première ligne. Ça donnerait un coup de pouce aux urgences et ça servirait de modèle pour la suite des choses.

Parlant d’urgences, les infirmières praticiennes spécialisées pourraient aussi y être mises à contribution. Cette idée-là non plus n’est pas nouvelle.

Elle figure au nombre des neuf recommandations du rapport Salois (datant de 2016) intitulé Apprendre des meilleurs : étude comparative des urgences au Québec.

Consultez le rapport

Ce rapport – qui devrait être une lecture obligée pour les membres de la cellule de crise du ministre – confirmait qu’au Québec, il y a des urgences très bien gérées et d’autres, nettement moins.

Le document offrait aussi une liste de solutions pour améliorer les pratiques et processus en place dans les urgences de la province.

On ne reproduira pas ici toute la liste, mais notons que plusieurs de ces solutions n’ont jamais été implantées à la grandeur du réseau et demeurent brûlantes d’actualité.

Assurer la disponibilité des lits sur les étages lors d’un débordement à l’urgence, par exemple. Soutenir la performance dans les urgences par un financement adapté. Ou encore, définir des cibles prédéterminées pour améliorer la performance à l’urgence et suivre de manière continue leur atteinte.

Tout ça pour dire que dans notre réseau, implanter des solutions pratico-pratiques qui amélioreraient l’efficacité du système peut être aussi dur que de faire entrer un carré dans un cercle.

La résistance au changement, pour toutes sortes de bonnes et – surtout – de mauvaises raisons, est forte. Chez des professionnels de la santé. Chez des gestionnaires dans le réseau. Et au sein même du Ministère, ce que Christian Dubé a sûrement déjà constaté.

En temps de crise, par contre, cette résistance a tendance à s’atténuer.

Le ministre aurait donc tout avantage à foncer pour parvenir à faire implanter très rapidement les solutions que sa cellule de crise jugera prioritaires et à oser remettre en question les dogmes. Quitte à dire des vérités parfois désagréables, à devoir s’en prendre à certaines vaches sacrées et même à bousculer son propre ministère. Les attentes sont élevées.

Mais le ministre n’a pas à préparer de révolution. On espère, beaucoup plus prosaïquement, qu’il sera celui qui parviendra enfin à mettre en œuvre de véritables solutions.

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