La « fillette de Granby » n’a pas dit son dernier mot. Lundi, l’avocate qui représente la mère biologique et les grands-parents paternels de l’enfant morte en avril 2019, MValérie Assouline, a déposé une poursuite au civil de 3,7 millions de dollars qui vise le centre des services scolaire du Val-des-Cerfs, le CIUSSS de l’Estrie ainsi qu’un chef de service de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et trois intervenantes.

Ce type de poursuite est peu fréquent et aboutit rarement. D’abord parce que les familles vulnérables ne sont pas outillées pour entreprendre de telles démarches judiciaires. Mais surtout, parce que la DPJ jouit d’une immunité presque totale. En effet, l’article 35 de la Loi sur la protection de la jeunesse précise que le directeur et les représentants de la DPJ « ne peuvent être poursuivis en justice pour des actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions ».

C’est ce principe d’impunité que la poursuite vient remettre en question.

Comment se fait-il que personne n’est imputable quand le système dérape, quand la bureaucratie prend le pas sur l’humanité ? La mauvaise foi du système est très difficile à démontrer.

Or, la DPJ devrait être tenue responsable lorsqu’elle abandonne à leur sort les enfants qui sont sous sa responsabilité. Elle ne devrait pas se cacher derrière la bureaucratie.

La loi 15, adoptée dans la foulée du rapport de la commission Laurent, a réitéré l’importance de placer l’intérêt de l’enfant en priorité. Il doit primer sur le reste.

Au nom des enfants que la société est censée protéger, il faut donc revoir en partie l’immunité dont jouit la DPJ.

C’est ce que soutient entre autres l’avocate Sophie Papillon, spécialiste en droit de la jeunesse. Selon elle, l’immunité se justifie quand il est question des décisions délicates que la DPJ doit prendre au quotidien. Par contre, quand il est question de l’application d’ordonnances du Tribunal de la jeunesse – visites dans le milieu de vie, suivis des familles, garde de l’enfant, etc. –, cette immunité devrait être restreinte. En d’autres mots, la DPJ devrait être imputable quand elle ne remplit pas correctement le mandat que lui confient les tribunaux.

Vrai, la pénurie de personnel touche la DPJ comme elle touche tous les secteurs de la santé et des services sociaux. Les listes d’attente s’allongent. Combien de cas échappent à leur vigilance ? Impossible de le dire. Mais ces listes d’attente devraient forcer le gouvernement à revoir les conditions de travail de ses employés, pas à justifier l’injustifiable. Il y a urgence d’agir quand la sécurité des enfants est en jeu.

La poursuite de MAssouline ramène aussi sur la place publique une des recommandations-phares de la commission Laurent, soit la création d’un poste de Commissaire au bien-être et aux droits des enfants. Nommée par l’Assemblée nationale pour un mandat de sept ans, cette personne serait épaulée par un commissaire adjoint dont la tâche consisterait à veiller au bien-être des enfants autochtones. Le ou la commissaire aurait des pouvoirs d’enquête et de recommandation au même titre que le Protecteur du citoyen.

Le prochain ministre responsable, qu’il s’agisse de Lionel Carmant ou d’un de ses collègues, doit faire de ce dossier une priorité. Un commissaire devrait être nommé dans les 100 premiers jours du nouveau mandat du gouvernement Legault.

Car sur le terrain, les conditions de vie des jeunes sous la responsabilité de la DPJ sont déplorables. C’est ce qu’a constaté la journaliste Nancy Audet, qui est également marraine de la Fondation des jeunes de la DPJ. Dans son plus récent livre, Ils s’appellent tous Courage, Mme Audet décrit entre autres les conditions de vie dans les centres jeunesse : manque d’espace, plafonds qui coulent, douches défectueuses, meubles abîmés, moisissures sur les murs… Des conditions intolérables et indignes de milieux de vie supervisés par l’État.

À l’heure où on construit des Maisons des aînés à coups de millions de dollars, il serait temps de se questionner sur les environnements qu’on offre aux jeunes, environnements qui peuvent avoir un impact déterminant sur leur développement et sur la suite de leur parcours.

Non, la petite fille de Granby n’a pas dit son dernier mot. La lecture du libellé de la poursuite déposée lundi par MAssouline, aussi difficile soit-elle, est importante. Elle nous rappelle le calvaire vécu par cette enfant en détresse et les lacunes d’un système censé la protéger. C’est en quelque sorte la voix de tous les enfants vulnérables qui nous implorent de ne pas les laisser tomber.

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