Jamais en 50 ans les distorsions de notre système électoral ne sont apparues aussi clairement qu’avec la réélection de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Le premier ministre François Legault a remporté haut la main un deuxième mandat, avec 90 députés. Il se retrouve ainsi avec 72 % des 125 sièges que compte l’Assemblée nationale, même si seulement 41 % des électeurs ont voté pour lui. Il s’agit d’un grand écart de 31 points. Un écart digne des plus grands contorsionnistes qui donne de sérieuses courbatures à notre démocratie.

En fait, on n’avait pas vu une pareille distorsion au Québec depuis 1973. Cette année-là, les libéraux de Robert Bourassa avaient remporté 93 % des sièges avec 55 % des votes, un écart de 38 points.

Si aujourd’hui la carte électorale est aussi loin des intentions de la population, c’est parce que François Legault a refusé de réformer notre mode de scrutin, malgré sa promesse de 2018. Sa victoire éclatante, il la doit à la division de l’opposition qui ressort affaiblie du scrutin, même si elle a obtenu la majorité des voix.

Tout cela est malsain.

Mais ce n’est sûrement pas le Parti libéral du Québec (PLQ) qui s’en plaindra, lui qui profite aussi des distorsions. La concentration de ses appuis sur l’île de Montréal lui permet de conserver son titre d’opposition officielle, avec 21 députés, même s’il n’a attiré que 14 % des voix.

Québec solidaire (QS) et le Parti québécois (PQ) restent loin derrière, même s’ils ont obtenu davantage de votes que les libéraux (15 % des voix chacun). Voilà qui est complètement incongru, surtout dans le cas du PQ qui n’a récolté que trois députés. Au moins, son chef Paul St-Pierre Plamondon fera son entrée au Salon bleu.

On ne peut pas en dire autant d’Éric Duhaime qui n’a pas le moindre député, malgré 13 % des voix en faveur du Parti conservateur du Québec (PCQ).

Face à toutes ces distorsions, le premier ministre devra faire preuve d’écoute et d’ouverture envers l’opposition. C’est une question de respect de la population.

Et c’est ce que Lucien Bouchard avait fait après les élections de 1998, qui avaient donné un résultat particulièrement tordu. Les péquistes avaient remporté la victoire, avec 60 % des sièges. Mais les libéraux avaient obtenu davantage de votes (44 % contre 43 %), tandis que l’Action démocratique du Québec (ADQ) n’avait fait élire qu’un seul député, Mario Dumont, malgré 12 % des voix.

Face à cette victoire qui n’en était pas tout à fait une, Lucien Bouchard avait mis au rancart son rêve de souveraineté pour respecter la volonté populaire. L’idée d’un troisième référendum est allée à la corbeille.

S’il veut être le premier ministre de tous les Québécois, comme il l’a promis dans son discours de victoire, François Legault doit tendre la main à la jeunesse pour qui la lutte contre les changements climatiques est essentielle. Tendre la main à Montréal afin de combler le fossé qui sépare la métropole des régions.

Bref, tendre la main aux autres partis.

Cela doit passer par une réforme du mode de scrutin, comme La Presse l’a déjà plaidé, mais aussi par une réforme du Règlement de l’Assemblée nationale.

La question se posera dès les prochains jours. Avec cinq partis, la barre est trop haut placée pour atteindre le statut de groupe parlementaire qui exige au moins 12 députés ou 20 % des votes.

Or, c’est ce statut qui détermine les budgets de recherche et les temps de parole qui permettent aux députés de croiser le fer avec le gouvernement. C’est aussi ce statut qui permet au parti de nommer un leader parlementaire pour élaborer la stratégie à adopter au cours des débats et veiller au respect des droits de ses députés.

D’une élection à l’autre, les petits partis parviennent à négocier ces avantages, même s’ils n’ont pas le niveau requis. Mais les négociations ont parfois été ardues. En 2003, la rentrée parlementaire avait même été retardée d’une journée, parce que le gouvernement refusait d’accorder le statut à l’Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont qui n’avait obtenu que 18 % des suffrages et quatre députés.

Il est temps de mettre fin aux ententes à la carte en modifiant pour de bon ce règlement dépassé. L’opposition doit avoir les coudées franches pour bien faire son travail. Une opposition forte et efficace est une police d’assurance pour la santé de notre démocratie.

Précision: le pourcentage des votes a été mis à jour par rapport à la version précédente de cet éditorial, en fin de soirée du 3 octobre.

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