Vous ne verrez jamais un conseiller de la SAQ vous recommander d’accompagner votre prochain souper d’une limonade au basilic ou d’un verre de jus de tomate.

Le brave employé vous proposera un produit alcoolisé, pour la simple et bonne raison que c’est le mandat de la société d’État d’en vendre.

C’est exactement pour cela qu’il faut se méfier de l’idée de Dominique Anglade de créer Hydrogène Québec, une nouvelle société d’État entièrement vouée à l’hydrogène.

Comme toutes les nations du monde, le Québec doit négocier sa transition énergétique. Notre électricité propre sera évidemment au cœur du virage. On veut l’utiliser pour électrifier nos voitures, nos trains et nos autobus. On devrait s’en servir pour remplacer les combustibles fossiles qui, au royaume de l’hydroélectricité, chauffent encore un trop grand nombre de nos bâtiments.

Notre électricité propre peut aussi alimenter des entreprises qui veulent verdir leurs opérations. Chez Hydro-Québec, les demandes qui se trouvent actuellement sur la table totalisent déjà 15 000 mégawatts – c’est dix fois la puissance du futur complexe de la Romaine. On ne pourra dire oui à tout le monde et il faudra faire des choix.

Notre électricité, on peut aussi l’exporter vers les États-Unis avec des gains environnementaux et financiers intéressants. Le contrat avec l’État de New York, signé il y a un an, l’illustre bien.

On peut finalement transformer l’électricité en hydrogène vert. Le procédé conduit à des pertes colossales atteignant de 30 à 40 %. Mais pour certains secteurs qui ne peuvent être électrifiés directement, comme la production d’acier, il s’agit de la seule option pour réduire les gaz à effet de serre (GES).

Bref, notre électricité peut et doit être utilisée à plusieurs sauces pour réduire nos émissions de GES.

Mais Hydrogène Québec ne prendrait fait et cause que pour l’une d’entre elles : l’hydrogène vert. De la même façon que Loto-Québec nous vend des gratteux sans se soucier de savoir s’il s’agit de la meilleure utilisation de notre budget discrétionnaire.

C’est une vision limitative et problématique.

Dominique Anglade a raison de dire qu’il faut encourager la production d’hydrogène vert au Québec. Nous en aurons besoin. Mais de là à en faire « le plus gros projet économique depuis la Baie-James », à faire miroiter des revenus d’exportation, à vouloir investir 100 milliards et créer 170 TWh de nouvelle énergie solaire et éolienne (ça équivaut à 16 fois le contrat d’approvisionnement signé avec New York)…

Il y a une enflure qui suscite un sain scepticisme.

Comment utiliser notre électricité pour en maximiser les bénéfices environnementaux, économiques et sociaux ? Quelles proportions consacrer à l’électrification directe, à l’exportation, à l’attraction d’entreprises et à la fabrication d’hydrogène vert ?

Voilà les vraies questions que le Québec doit se poser. Elles risquent d’être de plus en plus débattues, la demande pour l’électricité semblant appelée à croître plus vite que notre capacité à en produire.

Les réponses seront complexes et en constante évolution, à mesure que les technologies, les marchés et la réglementation changeront. Le Québec devra aussi travailler avec ses partenaires et suivre les tendances mondiales. Ce n’est pas la province, seule dans son coin, qui décidera que les navires de demain fonctionneront à l’hydrogène.

Bâtir une expertise pour étudier ces enjeux au sein d’une société d’État est loin d’être une mauvaise idée. Mais évitons de lui définir un mandat trop étroit et d’imposer une solution unique dès le départ.

En fait, une telle société d’État consacrée à la transition énergétique de façon plus large a déjà existé. Transition énergétique Québec a été créée sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard, avant d’être abolie par celui de François Legault.

Avant de lancer son « projet Éco », Dominique Anglade aurait eu intérêt à s’inspirer des vieux documents… de son propre parti.

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