Une avalanche de baisses d’impôt par-ci. Un plaidoyer pour le troisième lien par-là. À l’issue d’une première semaine de campagne où les milliards coulaient à flots, permettez qu’on vous pose une question éclair, pour démontrer à quel point les politiciens oublient les priorités.

Si on vous donnait des milliers de dollars, que feriez-vous avec cette manne ?

A) Installer une piscine neuve dans votre cour arrière.

B) Refaire votre toiture qui est sur le point de couler.

Évidemment, le projet de piscine est beaucoup plus excitant, parce qu’il ajoute à votre qualité de vie. Mais, en propriétaire responsable, vous savez qu’il est préférable de refaire le toit, sinon l’infiltration d’eau et la moisissure se mettront de la partie, et les travaux seront encore plus coûteux dans quelques années.

Individuellement, vous choisissez donc la toiture. Mais collectivement, au Québec, nous choisissons la piscine.

Pour en avoir le cœur net, il faut fouiller dans le Plan québécois d’infrastructures (PQI), un document annuel qui résume le financement prévu pour nos infrastructures.

Les chiffres sont alarmants. Depuis sept ans, notre déficit d’entretien des infrastructures a carrément doublé. Il est passé de 15,1 milliards en 2015 à 30,6 milliards en 2022. C’est l’argent qu’il faudrait pour théoriquement remettre dans un état décent toutes nos infrastructures, du jour au lendemain.

Sur le terrain, ça fait pitié.

Parlez-en aux patients de l’hôpital de Saint-Jérôme, où des fuites d’eau perturbent les soins. Ou encore à ceux de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal, où les salles d’opération ont déjà été fermées parce qu’une chauve-souris s’était retrouvée dans des lieux qui doivent rester stériles.

Parlez-en aux résidants de Gatineau qui empruntent le boulevard de la Gappe, qui se trouve en haut du palmarès des pires routes de la province de CAA-Québec. À la grandeur de la province, près de la moitié de notre réseau routier est en mauvais état. La facture des réparations s’élève à 19 milliards. Emmenez-en, des cônes orange !

Et, tant qu’à y être, jasez donc un peu avec les élèves des écoles qui ont des problèmes de ventilation, de plomberie… et même de souris, dont on retrouve l’urine sur le matériel scolaire.

Ce n’est pas des farces : seulement deux écoles sur cinq sont dans un état potable. On est bien en dessous de la cible de 50 %, que la Coalition avenir Québec (CAQ) a d’ailleurs abaissée durant son mandat. Les 2 milliards que François Legault a promis, cette semaine, pour la rénovation des écoles ne seront pas de trop.

Depuis cinq ans, le gouvernement a bonifié de 51 milliards l’enveloppe consacrée à l’ensemble de nos infrastructures. Une hausse de 56 %, ce n’est pas rien. Alors pourquoi le portrait continue-t-il de s’assombrir ?

C’est bien simple : l’argent frais injecté dans le PQI a surtout été aiguillé vers de nouveaux projets… vous savez, la piscine neuve, plutôt que la réfection du toit.

Pour tout vous dire, la croissance des sommes destinées à de nouveaux projets (+ 121 %) a été quatre fois plus élevée que la croissance des sommes destinées à l’entretien des infrastructures existantes (+ 30 %).

Ces chiffres sont tirés d’une présentation du comité des politiques publiques de l’Association des économistes du Québec réalisée en juillet dernier.

Une augmentation de 30 % du budget d’entretien, c’est mieux que rien. Mais ce n’est pas assez. Car pendant que nous réparons nos infrastructures, elles continuent de se détériorer encore plus vite.

C’est un peu comme si on tentait de vider une chaloupe qui prend l’eau avec une chaudière trop petite. Malgré les efforts, l’embarcation finira quand même par couler.

N’attendons pas d’en arriver là !

Il est temps de prioriser l’entretien, pour de vrai. De faire passer le vieux avant le neuf.

Sinon, on se tire doublement dans le pied.

Non seulement les nouveaux projets qu’on met en branle réduisent l’enveloppe disponible pour l’entretien des infrastructures existantes, mais ils augmentent aussi la demande de main-d’œuvre qui est déjà rare dans le domaine de la construction. Cela fait grimper les coûts, y compris pour l’entretien de l’existant.

Après, on se retrouve avec un projet comme la modernisation de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui va nous coûter au bas mot 4,1 milliards de dollars, a-t-on appris récemment, alors qu’on prévoyait une facture de 2,5 milliards l’an dernier.

Le plus ridicule dans tout cela, c’est que le PQI estime que le déficit d’entretien de l’ensemble du réseau de la santé est de 1,4 milliard. Pour toute la province, pas juste pour un hôpital ! Voyons, ce n’est pas sérieux !

L’hôpital Maisonneuve-Rosemont est le canari dans la mine. Il fait la preuve que les chiffres présentés dans le PQI sous-estiment considérablement le prix à payer pour remettre nos infrastructures en état.

Arrêtons de nous mettre collectivement la tête dans le sable.

Dans les années 1990, le Québec s’est attaqué à son déficit budgétaire en adoptant la Loi sur l’équilibre budgétaire, qui a permis de reprendre le contrôle de nos finances publiques.

Aujourd’hui, nous devons nous attaquer à notre déficit d’infrastructures. Il nous faut un plan solide, transparent et vérifié par des experts indépendants. Pas un PQI qui voit l’avenir en rose.

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