Les anglophones appellent ça une « self-fulfilling prophecy » – une prédiction qui, du seul fait d’être énoncée et répétée, finit par se réaliser.

C’est ce qui est en train de se produire au Québec avec les voitures électriques. On entend partout qu’il est impossible d’obliger les concessionnaires à vendre de tels véhicules parce qu’il en manque sur le marché.

Résultat : faute de réglementation stricte chez nous, les constructeurs envoient leurs voitures électriques ailleurs. Et les Québécois qui veulent faire leur part d’efforts pour l’environnement se retrouvent effectivement devant des salles d’exposition vides et de longues listes d’attente.

Le Parti québécois (PQ) a le mérite de nous secouer les puces en promettant d’obliger les concessionnaires à vendre 50 % de voitures électriques d’ici 2025 (leur part de marché s’élève à 12 % actuellement). C’est exactement la bonne façon de briser le cercle vicieux dans lequel nous tournons.

On attend impatiemment de voir ce que les autres partis auront à proposer à ce chapitre. La CAQ a malheureusement échoué à resserrer les normes sur les véhicules zéro émission. Son dernier plan était si inefficace que le ministère de l’Environnement lui-même a conclu qu’il ne mettra pas une seule voiture électrique de plus sur nos routes avant… 2028.

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Québec solidaire réserve ses annonces pour le dévoilement de son plan vert, dimanche prochain. La plateforme libérale promet de bonifier le programme de subventions à l’achat de véhicules électriques, mais ne compte pour l’instant aucune obligation pour les constructeurs. À quoi bon stimuler encore plus la demande si l’offre ne suit pas ?

Le festival des excuses

Ceux qui décrivent la cible du PQ comme irréaliste devront nous expliquer pourquoi les véhicules zéro émission représentent déjà 81 % des ventes en Norvège (la proportion atteint 90 % en comptant les hybrides).

Pourquoi, à 23 %, la Chine fait deux fois mieux que nous. Pourquoi l’Allemagne, la Californie, la Suède, les Pays-Bas ou l’Islande vendent tous, proportionnellement, plus de voitures électriques que le Québec.

Les excuses fusent, mais aucune ne tient la route. On entend par exemple que les constructeurs envoient leurs modèles électriques vers les gros marchés – en oubliant que les leaders mondiaux sont la Norvège (5,4 millions d’habitants) et l’Islande (366 000 habitants).

La réalité est pourtant claire pour qui veut la voir : les constructeurs envoient leurs véhicules en priorité là où la réglementation en impose la vente. Un exemple probant est la Colombie-Britannique. L’an dernier, la province s’est donné comme objectif d’amener la part de marché des véhicules zéro émission à 26 % en 2026 et à 90 % en 2030.

Résultat : les constructeurs y ont expédié des véhicules et la Colombie-Britannique a détrôné le Québec comme champion canadien de la voiture électrique (part de marché de 16 % contre 12 % au plus récent trimestre). Et ce, même si le rabais consenti par le gouvernement y est plus faible qu’au Québec (4000 $ au lieu de 7000 $).

Le Québec s’est engagé à interdire la vente de véhicules à essence en 2035. C’est bien, mais c’est loin. Les constructeurs ne sentent aucune pression à court terme. Voilà pourquoi il faut se doter de cibles intermédiaires. La Californie, par exemple, a fixé une cible de 35 % d’ici 2026.

« On s’attend à ce qu’une quinzaine d’États américains renforcent leur réglementation. Si le Québec n’est pas plus ambitieux, on va se retrouver avec les restes », prévient Daniel Breton, président et directeur général de Mobilité Canada.

Les voitures électriques ne sont pas la solution à tout, loin de là. Mais le secteur des transports étant notre plus important émetteur de GES, elles sont un élément essentiel de l’atteinte de nos cibles environnementales.

Se sentant bousculé par la cible du PQ, le PDG de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec, Robert Poëti, a philosophé au micro de Paul Arcand qu’il fallait « donner le temps au temps ».

Nous croyons plutôt que l’heure est à l’action.

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