Alain Rayes en a assez et il n’est pas le seul. Mardi, dans une publication sur sa page Facebook, le député conservateur a raconté que ses propos de la veille – il souhaitait une bonne rentrée aux enfants et au personnel scolaire – avaient suscité tellement de commentaires agressifs et haineux qu’il n’en a pas dormi de la nuit. L’homme politique a décidé qu’il bannirait désormais de ses réseaux sociaux toute personne tenant des propos toxiques.

L’agressivité n’est pas que virtuelle, elle peut se transporter dans le monde physique : vendredi dernier, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a été agressée verbalement par deux individus, en Alberta. Une vidéo de l’incident a ensuite circulé sur Twitter.

Mercredi, on apprenait que le local électoral de Enrico Ciccone avait été vandalisé. Le député libéral avait auparavant reçu des menaces au téléphone. Sa collègue Marwah Rizqy, enceinte de huit mois, a pour sa part révélé avoir été victime de menaces de mort. Ce n’est pas anodin qu’on propose des vestes pare-balles aux chefs de partis politiques. On dirait que la campagne électorale a jeté de l’huile sur le feu.

Le traumatisme que M. Rayes a vécu, les femmes le connaissent intimement. Qu’elles soient des personnalités publiques ou pas, elles sont plus susceptibles que les hommes de recevoir des messages haineux, sexistes, toxiques.

Dans leur documentaire Je vous salue salope qui prendra l’affiche la semaine prochaine, Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist donnent la parole à cinq femmes issues de cinq pays différents qui nous racontent leur calvaire numérique : propos misogynes, harcèlement, incitation au viol, menaces de mort… Une élue américaine a dû déménager. On a invité les gens à violer la présidente de la Chambre des députés en Italie. Cinq vies de femmes profondément perturbées par le harcèlement en ligne sans que les autorités interviennent.

On invoque la liberté d’expression, on tourne la tête et on regarde ailleurs.

Or les propos haineux et les commentaires misogynes n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. Ce sont des propos qui doivent être interdits sur les plateformes numériques comme la conduite dangereuse est interdite et punie sur les infrastructures routières.

Certains pays comme la France et l’Allemagne se sont dotés de lois pour encadrer ce qui se dit sur ces plateformes. En Allemagne, depuis 2018, on impose une amende quand une d’entre elles ne retire pas les propos problématiques dans les délais prescrits. Les résultats sont mitigés, mais ces pays envoient tout de même un message clair aux Facebook, Twitter et Instagram de ce monde : vous n’êtes pas neutres, vous avez une responsabilité dans cette montée de l’agressivité et de la rage en ligne.

À l’heure actuelle, aucune loi canadienne ne responsabilise les réseaux sociaux sur le contenu diffusé par leurs utilisateurs. Le gouvernement fédéral nous promet une nouvelle loi depuis plus de deux ans. Il serait temps de nous en montrer la couleur.

Ensuite, on peut se demander d’où vient cette agressivité de plus en plus incontrôlée. La firme canadienne Pollara vient de lancer une nouvelle mesure qui tente d’expliquer les raisons de cette mauvaise humeur collective. Son « index de la rage » (oui, comme l’indice des prix à la consommation ou l’index du bonheur), mesure donc le niveau de rage ambiant… Sur 2013 Canadiens interrogés durant la dernière semaine de juillet, 48 % ont dit être en colère à cause des politiques d’Ottawa, 83 % ont nommé l’inflation, 79 % sont enragés à cause du prix de l’essence et 55 % à cause du marché de l’habitation. Ces raisons ne justifient en rien le niveau d’agressivité ambiant, mais elles nous indiquent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la société canadienne, une colère qui gronde, qui s’exprime sur les plateformes numériques… et dans la vraie vie. On ne peut plus l’ignorer.

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