À quoi sert une norme si elle n’est même pas proche d’être respectée ?

C’est la question qui se pose depuis qu’on sait que la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, émet 33 fois plus d’arsenic que la limite légale. Des rejets qui font augmenter les risques de cancer des citoyens vivant à proximité.

Mais aussi troublant soit-il, ce cas ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt. Outre la Fonderie Horne, 89 autres pollueurs québécois ont obtenu la permission du gouvernement provincial d’outrepasser les normes environnementales.

En clair, ces établissements peuvent contourner la loi… en toute légalité.

Il peut exister des raisons légitimes de soustraire un pollueur à ses obligations environnementales, du moins temporairement. Nous y reviendrons. Mais chaque fois, cela suscite de sérieuses questions.

Quels sont les établissements exemptés ? Pourquoi ont-ils obtenu un tel traitement préférentiel ? Quel plan le pollueur a-t-il mis en place pour se rapprocher de la réglementation ? Quels sont les effets du dépassement des normes sur l’environnement et la santé des gens ?

Les citoyens ont le droit d’obtenir des réponses claires à ces questions. On parle quand même de l’air qu’ils respirent, de l’eau qu’ils boivent et du sol qu’ils occupent !

Malheureusement, malgré un engagement en ce sens du gouvernement, la transparence n’est pas au rendez-vous.

En 2017, Québec a revu sa Loi sur la qualité de l’environnement. La refonte précise que le gouvernement doit tenir un registre des exemptions environnementales accordées aux entreprises, incluant les documents qui y sont rattachés et qui permettent de les comprendre.

Cinq ans plus tard, ce registre n’existe toujours pas.

Interrogé par un journaliste de La Presse pour savoir à quel moment il serait disponible, le ministère de l’Environnement a fourni cette perle.

« Le futur registre public, comme prévu par la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement, sera en vigueur lorsque le gouvernement aura fixé la date d’entrée en vigueur de ce nouveau registre public. »

Bref, le registre sera en vigueur… lorsqu’il sera en vigueur.

D’ici là, bonne chance pour obtenir des réponses à vos questions.

Soustraire un pollueur à ses obligations environnementales peut se justifier. Chaque fois, cette permission est accordée parce que l’établissement était là avant l’arrivée de la réglementation – ce qu’on appelle souvent une « clause grand-père ».

La Fonderie Horne, par exemple, est en activité depuis 95 ans. Tout un quartier s’est construit autour, à une époque où personne n’était vraiment conscient des conséquences des émanations. Quand de nouvelles normes sont adoptées, il est normal d’accorder une certaine flexibilité à l’entreprise pour s’y adapter.

Mais flexibilité ne veut pas dire complaisance. Les exemptions devraient servir à ce que les entreprises mettent en place des plans visant à atteindre les normes environnementales. Dans la loi, ces exemptions sont appelées « attestations d’assainissement », pas « permissions de rejeter n’importe quoi dans l’environnement pour l’éternité ».

Le cas de la Fonderie Horne a montré que les attestations d’assainissement peuvent devenir des droits de polluer au détriment de la santé publique.

Il a aussi montré de graves lacunes dans l’accès à l’information. On se souvient de la fameuse annexe montrant une augmentation des cas de cancer qui avait été retirée d’un rapport de la Santé publique. Plus récemment, les citoyens et les journalistes ont dû monter au créneau pour connaître les rejets d’arsenic prévus par l’entreprise pour les cinq prochaines années.

Combien existe-t-il de cas similaires à la grandeur de la province ? Parions que les journalistes d’enquête trouveront là une talle intéressante.

En attendant, le gouvernement ferait bien d’ouvrir son jeu. Toutes les ententes permettant de contourner les règles environnementales doivent être dévoilées et expliquées dans le registre promis.

Pour s’en convaincre, Québec n’a qu’à aller lire… sa propre loi.

Quelques établissements faisant l’objet d’une attestation d’assainissement

  • Rio Tinto Alcan (Saguenay)
  • Aluminerie Alouette (Sept-Îles)
  • Produits Kruger (Gatineau)
  • Domtar (Windsor)
  • Cascades (Kingsey Falls)
  • ArcelorMittal (Contrecœur)
  • Mine Raglan (Ungava)
  • Mine Canadian Malartic (Malartic)
  • Zinc électrolytique du Canada (Salaberry-de-Valleyfield)
  • Affinerie CCR (Montréal)
  • Rio Tinto Fer et Titane (Sorel-Tracy)

Source : ministère de l’Environnement

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