La Caisse de dépôt et placement du Québec ne s’est pas plantée en investissant environ 200 millions dans la banque de cryptomonnaie américaine Celsius.

Elle s’est royalement plantée.

En octobre dernier, la Caisse est devenue actionnaire de Celsius, une banque qui offrait des prêts de cryptomonnaies et des intérêts jusqu’à 17 % sur les dépôts de cryptomonnaies. Or, le bitcoin a perdu 65 % de sa valeur et Celsius a manqué d’argent pour couvrir les retraits des investisseurs. En juillet, l’entreprise s’est protégée de ses créanciers. Elle leur doit 1,9 milliard US, mais n’a que 167 millions US.

Bref, on ne reverra pas notre argent.

La Caisse a mal évalué son risque dans ce domaine peu ou pas réglementé, une bulle spéculative où l’objectif est de contourner le système monétaire traditionnel. Elle n’a pas réfléchi à l’aspect éthique. Par surcroît, elle a misé sur le mauvais cheval, qui était déjà dans le collimateur des autorités des marchés financiers de certains États américains.

Aussi spectaculaire soit-elle, cette erreur doit être relativisée, placée dans son contexte.

La Caisse a fait cet investissement à partir de son portefeuille de 1,5 milliard de capital de risque. Les investisseurs de capital de risque sont comme les frappeurs de puissance au baseball : ils visent toujours le coup de circuit et sont inévitablement retirés au bâton plus souvent. L’important, c’est la moyenne au bâton.

Le portefeuille de capital de risque de la Caisse a généré un rendement entre 35 % et 40 % par an depuis cinq ans. Rendement total de la Caisse sur l’ensemble de ses actifs durant cette période : 8,9 % par an. Le capital de risque est donc très rentable pour la Caisse.

De plus, la Caisse déploie en capital de risque seulement 0,36 % de ses actifs (1,5 milliard sur 419,8 milliards). Ça permet d’accompagner nos entreprises en démarrage sans mettre à risque la retraite des Québécois.

Le bas de laine des Québécois aura un examen de conscience à faire avec Celsius (leçon numéro un : se tenir loin de la crypto), mais ça ne doit pas l’empêcher de continuer à investir en capital de risque.

La Caisse investit en capital de risque dans une vingtaine d’entreprises techno (aucune en crypto, à l’exception de Celsius), dont un peu plus de la moitié sont québécoises. Pour une catastrophe comme Celsius, il y a plusieurs grands succès technos québécois comme Lightspeed, Hopper et Nuvei. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

D’ailleurs, une autre institution québécoise devrait repenser ses relations avec l’industrie des cryptos : Hydro-Québec.

Si la tendance se maintient, la société d’État vendra bientôt 1 % de son électricité à perte à des mineurs de cryptomonnaies.

Faire de la cryptomonnaie est très énergivore. Il faut miner les informations sur des chaînes de blocs en utilisant des opérations mathématiques complexes. C’est le contraire d’un système financier basé sur des institutions financières fiables et réglementées.

La société d’État a un tarif (6 cents/kWh) similaire au tarif industriel pour une centaine de mineurs québécois de cryptomonnaies. Ils consomment 111 mégawatts, soit 0,3 % de la capacité totale du réseau. (Les cryptos qui n’ont pas été sélectionnées en appel d’offres paient un tarif dissuasif de 18 cents/kWh pour la consommation non autorisée de minage de crypto.)

Mais voilà, la Régie de l’énergie vient de forcer Hydro-Québec à offrir aux cryptos un autre 270 mégawatts au tarif de 6 ¢/kWh.

Pour les mineurs de bitcoin, c’est avantageux d’avoir accès à une électricité à faible coût.

Pour le Québec, on subventionne une industrie qui n’a pas de retombées économiques, a très peu d’utilité sociale, s’attaque à la souveraineté monétaire des pays, n’est pas réglementée, est utilisée par des organisations criminelles pour blanchir leur argent, et est très polluante.

Hydro-Québec doit retourner devant la Régie de l’énergie pour trouver une façon d’annuler la décision prise l’automne dernier. Sinon, elle vendra jusqu’à 1 % de son électricité à perte aux mineurs de cryptomonnaies (elle vend 6 ¢/kWh et toute capacité supplémentaire lui coûtera 10 ¢/kWh en 2025).

On peut difficilement bannir la cryptomonnaie.

Mais on n’est pas obligé de lui fournir de l’électricité au rabais. Ni de la financer avec notre bas de laine.

Une version antérieure de cet éditorial comportait une imprécision concernant le tarif industriel offert aux mineurs de cryptomonnaie.

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