« Nous avons vendu un mensonge aux gens. »

Ces mots, ce sont ceux de Mark MacGann, ancien lobbyiste d’Uber en Europe. Cette semaine, il a révélé être l’auteur de la fuite des documents internes – les Uber Files – qui détaillent les tactiques employées par l’entreprise techno de San Francisco pour s’imposer dans les grandes villes du monde.

PHOTO BENOIT DOPPAGNE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mark MacGann, ancien lobbyiste d’Uber en Europe, est à l’origine des Uber Files.

Il faut lire les reportages ou écouter les épisodes de balado (ceux du journal britannique The Guardian sont excellents) sur cette affaire pour se remémorer avec quel acharnement Uber a bulldozé l’industrie du taxi.

Uber est entrée dans les villes – dont Montréal, en 2013 – en défonçant la porte. Elle a suscité l’admiration en proposant une application de transport redoutablement simple et efficace, tant pour les clients que pour les chauffeurs. Elle a séduit ces chauffeurs en percevant de faibles redevances. Elle a appâté les clients avec des courses gratuites.

Uber, c’était cool.

Le taxi ? C’était… pas terrible. Ne l’oublions pas : c’était une industrie figée dans ses habitudes, qui rechignait chaque fois qu’un nouveau règlement l’obligeait à améliorer le service aux passagers. À Montréal, il aura fallu attendre 2017 pour que le Bureau du taxi adopte un code de conduite qui garantit des voitures propres, un chauffeur courtois et l’interdiction de refuser le paiement par carte !

À la même époque, d’autres secteurs ont été bouleversés par l’arrivée d’entreprises technos qui ont proposé un nouveau modèle de consommation. L’industrie du voyage, par exemple, avec les sites de réservation en ligne comme Expedia ou Booking.com. Ou celle du cinéma et de la télé, avec Netflix. Mais aucune ne s’est imposée avec autant d’arrogance qu’Uber.

Toutes ces entreprises technos veulent évidemment notre bien, mais dans le cas d’Uber, elle était prête à aller très loin pour l’avoir…

Pour faire sa place dans ce secteur très réglementé, Uber a enfreint la loi. Ce qui a donné lieu à plusieurs affrontements avec des chauffeurs de taxi qui voyaient leurs revenus fondre devant la popularité grandissante de l’application. Des manifestations qui ont parfois tourné à la violence dans certaines villes européennes.

C’est aussi ce qui ressort des Uber Files : l’entreprise savait qu’elle opérait dans l’illégalité et a exploité la violence à l’endroit de ses chauffeurs pour obtenir des changements dans la réglementation.

Quand ses collaborateurs l’ont averti que les chauffeurs Uber pourraient être victimes de violence si on les encourageait à manifester, le président Travis Kalanick a répliqué : « Je pense que ça vaut la peine. La violence est gage de notre succès. »

Quand le fisc débarquait dans l’un des bureaux pour une perquisition, un appel à la centrale de San Francisco permettait de mettre hors circuit tous les ordinateurs. C’est arrivé à Montréal en 2015, lorsque Revenu Québec soupçonnait qu’Uber ne percevait pas la TVQ. Un juge de la Cour supérieure a déclaré que la manœuvre « revêt toutes les caractéristiques d’une tentative d’entrave à la justice ».

Quand des élus se montraient réticents à modifier leur législation en sa faveur, Uber incitait ses usagers à se faire entendre. « Nous utilisions comme arme nos utilisateurs et nos chauffeurs pour dire aux maires : vous voyez ? C’est ce que vos électeurs veulent », raconte Mark MacGann.

Des usagers qui avaient été, on le rappelle, attirés par des offres mirobolantes.

Sauf que… ça ne pouvait pas durer.

Les redevances perçues par Uber auprès des chauffeurs ont fini par augmenter, rendant l’activité beaucoup moins lucrative.

Plusieurs clients font aujourd’hui les frais de la tarification d’Uber basée sur l’offre et de la demande. En cas de pluie, ou en pleine nuit, une course au tarif calculé par Uber peut parfois coûter pas mal plus cher qu’un taximètre bien calibré.

Dans une déclaration, la porte-parole d’Uber a reconnu que l’entreprise avait commis des « erreurs » et des « faux pas ».

Uber nous a surtout servi une leçon. Celle-ci devrait inspirer les législateurs à intervenir rapidement, au nom du bien commun, lorsqu’un nouvel acteur s’impose au mépris des lois.

Parce que les mirages finissent par se dissiper.

Et à la fin, ce ne sont pas nécessairement les citoyens qui gagnent.

Lisez le récit publié sur le site de Radio-Canada Lisez le dossier compilé par The Guardian (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion