Le crime est survenu en février 2014. La victime, en état d’ébriété, s’était endormie, seule, dans la chambre de son copain. Le colocataire de celui-ci, un homme dans la fin vingtaine, est entré dans la pièce. Il lui a fait des attouchements aux seins et à la vulve, et l’a pénétrée avec ses doigts. La femme l’a repoussé quand elle en a pris conscience, puis le copain est intervenu pour le jeter hors de la chambre.

Au procès, l’accusé, qui a dit avoir compris qu’il avait mal agi, a demandé une absolution conditionnelle après le verdict de culpabilité. Celle-ci devait lui permettre de garder son emploi dans une entreprise de télécommunications. Le juge a tenu compte de plusieurs facteurs atténuants. Son âge. L’absence d’antécédents judiciaires. L’absence de violence ou d’acharnement auprès de la victime (outre la nature de l’agression elle-même). Les remords exprimés.

L’absolution a été accordée à Jessy Gravel. Elle a même été confirmée par la Cour d’appel, qui a estimé que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur de droit ou de principe en l’accordant.

C’était en juin 2018.

Et à l’époque, ça n’a pas fait l’objet du moindre entrefilet dans les médias.

Le contraste avec l’absolution accordée il y a deux semaines à Simon Houle pour une agression semblable est saisissant…

Que s’est-il passé pendant ces quatre années pour que la décision dans le cas de M. Houle suscite un tel tollé ? La réponse est évidente : un séisme du nom de #metoo/#moiaussi, qui grondait depuis plusieurs années avant d’éclater à l’automne 2017, et qui a engendré un profond et remarquable changement collectif de perception sur la gravité de l’agression sexuelle.

Ce genre de changement social ne s’opère pas d’un coup. Il en aura fallu, des témoignages, des dénonciations et des procès, pour que se produise la mutation… Et ce n’est pas fini, d’ailleurs.

Mais déjà, cette transformation fulgurante a creusé un écart tel que les personnes et institutions qui ne marchent pas au même rythme semblent vivre dans une réalité parallèle.

Or, le droit traîne souvent quelques mètres derrière le peloton…

Au moment d’infliger une peine à un accusé reconnu coupable, le juge doit prendre en considération un ensemble de critères. Cette peine doit être proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité de l’individu.

Dans son jugement rendu le 21 juin dernier, le juge Matthieu Poliquin, de la Cour du Québec, détaille sa réflexion sur la peine à imposer à M. Houle, reconnu coupable d’agression sexuelle. Il qualifie les conséquences de l’agression sur la victime d’« importantes ». Il tient compte des facteurs aggravants et atténuants. Il renvoie à des décisions antérieures. Il rappelle « l’importance qu’accorde notre société à la réhabilitation » tout en reconnaissant que « l’absolution est une peine rarement infligée pour ce type d’infraction ».

Sur le plan juridique, son argumentaire ne s’écarte pas tant de la jurisprudence. Mais certaines de ses réflexions font grimacer. Il note que l’agression « se déroule somme toute rapidement ». Il retient que le comportement de l’agresseur s’explique par le fait qu’il était en état d’ébriété. Il reconnaît qu’il y a eu « abus de la vulnérabilité », mais souligne qu’il n’y a pas eu « d’abus de confiance ou d’autorité ».

S’agit-il encore d’arguments valables pour justifier une absolution ? Surtout compte tenu de la nature des gestes commis par l’agresseur ? En 2022, ça ne passe plus.

La Cour d’appel aura l’occasion de mettre à jour l’échelle de gravité en matière d’agressions sexuelles afin de permettre l’imposition d’une peine juste.

Ce sera une cause importante à suivre. Elle s’inscrit dans la suite logique de cette prise de conscience qui nous anime depuis le mouvement #metoo.

Dans quelles situations un juge doit-il désormais considérer une absolution, un sursis, une probation, une amende, un emprisonnement pour déterminer la peine d’une personne reconnue coupable d’agression sexuelle ?

Entre une main baladeuse et un viol, quels sont les stades de gravité à partir desquels une absolution conditionnelle n’est plus acceptable ?

Où est la ligne ? Quels sont les repères ?

Parce que, de toute évidence, le curseur a bougé depuis cinq ans.

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