Le Canada « habite une maison à l’épreuve du feu, loin des matériaux inflammables ». C’est ce qu’on pensait à Ottawa… en 1924.

On retrouve cette citation du sénateur Raoul Dandurand au tout début d’un important rapport sur la sécurité nationale, rendu public mardi. Il a été rédigé par un groupe de spécialistes de la question, dont une majorité a déjà travaillé dans ce domaine au sein du gouvernement fédéral.

Le problème – et il est de taille –, c’est que ces experts affirment que la position du Canada face à la sécurité nationale a « peu changé » depuis 1924. La notion est « rarement prise au sérieux » et nous avons développé une « culture de complaisance » en la matière, dénoncent-ils.

Dans un autre contexte, cette complaisance ne nous empêcherait pas nécessairement de dormir. Si nous étions encore au beau milieu des années 1990, par exemple. Une époque où nous vivions dans une innocence béate, certains étant convaincus que nous assistions à la fin de l’histoire, soit au triomphe de la démocratie et des valeurs libérales qui l’accompagnent généralement.

Le problème, c’est qu’au cours de la dernière décennie, l’histoire s’est accélérée. Le monde est moins stable qu’hier et, vraisemblablement, plus que demain.

Les menaces à notre sécurité nationale se multiplient de nos jours comme les métastases d’un cancer agressif. Nier notre vulnérabilité serait irresponsable.

Et à lire le rapport, on jurerait que non seulement notre maison n’est pas à l’épreuve du feu, mais qu’elle est aussi… en paille.

Les nombreuses menaces à la sécurité du Canada proviennent autant de l’intérieur que de l’extérieur de nos frontières. Les auteurs du rapport (affiliés à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa) ont bien pris soin de le souligner.

Ils évoquent donc les manifestations de janvier et février à Ottawa et ailleurs au Canada et s’inquiètent de ce que cela pourrait laisser présager. Car si le pays doit faire face à un « pire scénario » à l’avenir, il « n’est pas suffisamment prêt », estiment les experts.

La liste des menaces extérieures est évidemment plus longue. En tête figurent la Russie et la Chine. Elles sont nombreuses, les activités de ces deux pays qui mettent en péril notre sécurité, notamment dans l’Arctique. Là aussi, le Canada est vulnérable. À Ottawa, on ne s’en soucie pas encore assez.

Le dossier le plus délicat, c’est toutefois celui des États-Unis. Nos voisins nous inquiètent, avec raison. Le trumpisme n’a pas fini de faire des ravages. La société est polarisée à outrance. Les institutions démocratiques sont dénigrées et affaiblies. Etc.

Les États-Unis pourraient donc « devenir une source de menace et d’instabilité », reconnaît-on dans le rapport. Or, le pays demeure, de loin, notre plus important allié et partenaire commercial. La situation demande qu’on s’y penche de façon urgente.

Pour toutes ces raisons et plus encore (cyberattaques, crime organisé, changements climatiques, etc.), les experts sont convaincus que le gouvernement fédéral doit mener « un examen public de la sécurité nationale ». Une étape fondamentale qui devrait permettre, à court terme, une refonte de la stratégie canadienne dans ce domaine.

Cet examen, c’est la première de quelques dizaines de recommandations contenues dans le rapport, qui vont de l’instauration de mécanismes pour que les divers acteurs impliqués augmentent leur coopération à la création d’un « organe » responsable de la sécurité nationale au sein du cabinet fédéral.

Parallèlement, il importe de sensibiliser davantage le public sur ces questions fondamentales. Le gouvernement ne se préoccupe pas assez de sécurité nationale… mais les citoyens non plus.

On est, ici, dans les suggestions pratico-pratiques, faites par des experts qui ont une fine connaissance des rouages de la machine. Ils savent où se trouvent ceux qu’il faut remplacer et connaissent avec précision les endroits qu’il faut huiler.

À Ottawa, on aurait tout avantage à s’inspirer au plus vite de leurs recommandations. Et à les écouter quand ils nous supplient de prendre la sécurité nationale plus au sérieux qu’en 1924.

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