À voir la tournure du débat sur les seuils d’immigration au Québec, on se croirait presque à The Price Is Right, célèbre jeu-questionnaire en ondes depuis 50 ans.

À entendre les politiciens lancer des chiffres sur le nombre d’immigrants que la province devrait accueillir, on les imagine dans l’auditoire de l’émission dont le but est de deviner le prix d’un objet, sans le dépasser.

Le premier participant, François Legault, mise sur 50 000 immigrants par année, lui qui avait réduit le seuil à 40 000, pour respecter sa promesse électorale de 2018, avant de le ramener à 50 000.

Dans un étonnant revirement de situation, son ministre de l’Immigration, Jean Boulet, a affirmé jeudi qu’il serait « raisonnable » de relever ce seuil à 58 000 personnes… pour se rétracter en soirée. Manifestement, la dissidence n’est pas tolérée longtemps dans les rangs caquistes.

De son côté, la cheffe du Parti libéral Dominique Anglade va plus loin. Pour combattre la pénurie de main-d’œuvre, elle estime que la province doit accueillir 70 000 immigrants par année.

Et le Conseil du patronat du Québec en réclame entre 80 000 et 100 000.

Qui dit mieux ?

Soyons sérieux, l’immigration n’est pas un jeu télévisé. L’animateur ne lancera pas son célèbre « Come on down ! » au participant le plus près du chiffre magique.

En avançant ainsi des chiffres de façon arbitraire, selon une logique partisane, on ne fait que camper les positions et accentuer le clivage social. Il serait plus utile de mener des états généraux pour établir la réelle capacité d’intégration du Québec.

Car cette fameuse capacité d’intégration reste une notion totalement floue, même si elle fait foi de tout. Personne ne sait sur quels critères elle repose. Personne ne l’a jamais mesurée. Aucune trace dans le Plan d’immigration où le gouvernement du Québec établit ses cibles annuelles. Mystère et boule de gomme.

La Coalition avenir Québec (CAQ) qui a eu la bonne idée de présenter des tableaux de bord pour mesurer l’évolution de la COVID-19 et l’état du système de santé, devrait faire de même pour suivre les indicateurs clés de l’immigration.

Et on aurait peut-être de bonnes surprises, car l’intégration des immigrants s’est considérablement améliorée, depuis 10 ans, du moins sur le marché du travail. Jugez-en vous-même…

Le taux d’emploi des immigrants qui sont ici depuis plus de cinq ans est désormais plus élevé que celui des personnes nées ici. Le taux de chômage des immigrants se rapproche de celui des natifs, même si un écart persiste pour les immigrants plus récents. Et la rémunération hebdomadaire moyenne des immigrants a pratiquement rattrapé celle des travailleurs nés au pays, sauf pour les immigrants plus récents.

Du côté socioculturel, la situation est aussi moins alarmante que certains le croient. Si les immigrants continuent de parler leur langue maternelle à la maison, ce qui est tout naturel, il en va autrement dans la sphère publique, et c’est ce qui compte vraiment.

Avant de rehausser les seuils, il faut aussi considérer les effets d’une hausse de l’immigration sur la demande de logements, de services de garde, d’écoles ou encore de services de francisation.

À ce chapitre, Québec a des devoirs à faire, car il ne dépense même pas toute la généreuse enveloppe qu’Ottawa lui remet en vertu de l’accord Canada-Québec sur le partage des compétences en immigration.

En fait, la compensation fédérale s’élève à 650 millions de dollars pour 2020-2021, selon le cahier explicatif du ministère de l’Immigration. Mais Québec n’utilise que 589 millions « aux fins de l’intégration et de la francisation des personnes immigrantes », précise le rapport annuel de gestion du Ministère.

Si Québec se préoccupe réellement de la capacité d’intégration, il devrait commencer par dépenser tout l’argent que le fédéral lui remet. Et le dépenser comme il faut. Car la vérificatrice générale a déjà qualifié d’échec ses programmes de francisation.

Un autre bon sujet de discussion pour des états généraux en immigration…

Des états généraux seraient une tribune idéale pour démystifier toute la complexité de l’immigration auprès du grand public et fournir un espace de réflexion pour d’établir des consensus au sein de la société.

Mais la CAQ a plutôt choisi de reporter à l’an prochain la consultation publique sur l’immigration qui aurait dû avoir lieu cette année.

À la place, elle préfère politiser le débat davantage en dévoilant lors de son congrès, en fin de semaine, les résultats de deux études pourtant commandées par le ministère de l’Immigration à des experts externes.

De grâce, ne lançons pas le débat à l’envers, avec des slogans électoraux séduisants et des chiffres en l’air. Si on veut trouver le juste équilibre pour les seuils d’immigration, arrêtons de jouer à The Price Is Right.

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