Il n’y a pas si longtemps, il faisait encore la tournée du Centre Bell les soirs de match. Comme si de rien n’était, il entrait dans une loge et engageait la conversation avec les amateurs ébahis de voir leur idole de jeunesse devant eux.

Guy Lafleur était un géant à échelle humaine.

Parti de Thurso, petite ville de l’Outaouais où flottait l’odeur des pâtes et papiers, il est devenu un héros à l’image du Québec, parfaitement en phase avec l’évolution de la société, comme les autres légendes du hockey qui l’ont précédé.

Dans les années 1950, Maurice Richard a symbolisé l’éveil des Canadiens français, capables de se tenir debout et de rayonner bien au-delà des frontières du Québec.

Dans les années 1960, Jean Béliveau, gentleman de la glace, a incarné la Révolution tranquille et son grand mouvement de modernisation du Québec.

Avec son style flamboyant, Guy Lafleur a personnifié l’effervescence des années 1970, cette décennie où tout semblait possible. Et sur la glace, tout l’était.

C’était l’époque où Montréal était encore la métropole du Canada, l’époque glorieuse des Jeux olympiques, l’époque électrisante du disco…

Artiste et poète à ses heures, le Démon blond avait le sens du spectacle. Il savait mettre de l’électricité dans l’air, comme lors de ce fameux septième match de demi-finale de la Coupe Stanley, en 1979. Quand il a égalisé la marque contre les Bruins de Boston, une minute avant la fin de la troisième période, le toit du Forum a presque levé sous les cris de la foule, racontent ceux qui y étaient.

Ce but d’anthologie, certainement le plus célèbre de sa carrière, a mené l’équipe vers la coupe pour une quatrième année consécutive. Quelle époque ! C’était une génération de grandes vedettes qui suaient corps et âme et touchaient le cœur des gens. Guy Lafleur faisait la fierté de Montréal, à la tête d’une équipe talentueuse qui pouvait remettre à leur place les brutes de Boston et de Philadelphie, adeptes de l’intimidation.

Et même s’il était un grand parmi les grands, avec cinq Coupes Stanley à son actif, Guy Lafleur est toujours demeuré accessible, généreux et authentique. Au restaurant qu’il avait ouvert à Rosemère, il prenait soin lui-même de la clientèle, jasait hockey avec les amateurs, distribuait des figurines à son effigie aux enfants.

C’est pour cela que les Québécois se reconnaissaient en lui. Son histoire, c’était l’histoire du Québec.

Sa vie ressemblait à celle de ses partisans, avec ses hauts et ses bas. Quand son fils a eu des déboires devant les tribunaux, par exemple, on a vu le père soutenir sa famille dans la douleur.

Guy Lafleur était connecté sur la vraie vie, lui dont le salaire de vedette du hockey n’était pas stratosphérique.

En 1973, il avait signé un contrat d’un million de dollars… pour 10 ans. Son salaire de 85 000 $, pour la première année, représentait environ 10 fois la rémunération moyenne d’un Québécois.

En dollars d’aujourd’hui, cette paie vaudrait environ un demi-million de dollars, infiniment moins que ce que gagne la plus grande étoile de l’équipe, Carey Price, qui touche 13,3 millions de dollars canadiens en moyenne par année… ce qui représente environ 240 fois la rémunération d’un Québécois moyen.

Il y a déjà plusieurs années, Guy Lafleur, qui n’avait pas l’habitude de mâcher ses mots, ne s’était pas gêné pour dire que la montée du salaire des joueurs avait contribué à miner le sentiment d’appartenance à l’équipe.

C’est vrai. Le hockey a changé, la société aussi. Fini le temps où les joueurs de hockey, comme les travailleurs, passaient leur vie au même endroit.

Reconnu pour son indépendance, Guy Lafleur est d’ailleurs la seule des trois grandes légendes du Canadien à avoir joué pour d’autres équipes de la LNH – à New York, puis à Québec – après avoir pris une première retraite à Montréal.

Aujourd’hui, tout bouge. Les joueurs québécois sont plus rares au sein de l’équipe. L’an dernier, le Canadien a même joué certains matchs sans aucun joueur québécois dans l’alignement, pour la première fois de l’histoire de l’équipe.

Avec la commercialisation et la mondialisation du sport, les fans sont devenus des consommateurs et les équipes de hockey, un produit. Les joueurs sont interchangeables. Les idoles, éphémères.

Mais le p’tit gars de Thurso, lui, restera longtemps ancré dans nos cœurs.

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