Que ceux qui redoutaient de nouvelles dépenses gargantuesques se rassurent. Oui, le deuxième budget de Chrystia Freeland est copieux. Mais ce n’est pas un buffet à volonté non plus.

Entre le lancement de nouveaux programmes comme l’assurance dentaire et l’assainissement des finances publiques, la ministre des Finances a coupé la poire en deux.

Il faut dire que la vigueur de la reprise économique a rempli les coffres de l’État et procuré à la grande argentière une marge de manœuvre additionnelle de 85 milliards de plus sur six ans.

Cette manne permet à Chrystia Freeland de s’attaquer aux grands défis de l’heure, à commencer par l’inflation qui gruge le pouvoir d’achat des ménages.

Mesure phare du budget : la ministre investit 10 milliards de dollars sur six ans pour améliorer l’accès à l’immobilier. Et elle tape sur le bon clou en injectant huit fois plus d’argent pour augmenter l’offre – avec la construction de logements abordables – que pour stimuler la demande, ce qui aurait fait grimper les prix encore plus.

Sauf que pour venir à bout du manque chronique de maisons, il faudrait carrément doubler le rythme de construction au cours de la prochaine décennie, ce qui est loin d’être gagné d’avance avec la pénurie de main-d’œuvre.

En attendant, Ottawa donnera un coup de main aux premiers acheteurs qui ont du mal à faire leur nid, en doublant le crédit d’impôt pour l’achat d’une première maison – un cadeau de 626 $ – et en instaurant un compte pour encourager l’épargne en vue d’une mise de fonds.

Les cotisations de 8000 $ maximum par année, jusqu’à concurrence de 40 000 $, donneront droit à une déduction de revenus, mais les retraits ne seront pas imposables, une mécanique coûteuse et inusitée qui risque de profiter davantage aux riches et d’avoir des effets pervers.

Par exemple, des gens qui n’ont aucune intention d’acheter une maison pourront l’utiliser pour élargir leur capacité d’épargne à l’abri de l’impôt, puisque l’argent peut ensuite être transféré dans un REER.

Une autre mesure laisse perplexe : Ottawa souhaite assainir les pratiques du marché immobilier en développant une charte des droits des acheteurs qui viserait les offres à l’aveugle et les achats sans inspection. L’idée n’est pas mauvaise. Mais ici, Ottawa piétine le champ de compétence des provinces.

À la place, le fédéral aurait dû s’attaquer à un problème qu’il est le seul à pouvoir régler : les pénalités déraisonnables que les banques imposent aux propriétaires qui doivent mettre fin à leur hypothèque avant le terme.

Au-delà des mesures visant les ménages, le budget cible d’autres problèmes sérieux, comme le manque d’investissement privé qui freine la croissance économique du pays. Pratiquement au plein emploi, notre économie est face au mur. Pour progresser, il faut hausser la productivité. Mais les mesures proposées dans le budget manquent encore de détails.

Et qui financera les nouvelles dépenses ?

Les banques qui paieront davantage d’impôt. Et c’est de bonne guerre, car sans le soutien du gouvernement aux particuliers et aux entreprises durant la pandémie, elles auraient bu la tasse.

Ah oui, et le fédéral va serrer la vis aux riches qui ont trop d’imagination fiscale et taxer les produits de vapotage. Tant mieux.

Tout ça ne sera pas suffisant pour combler le déficit, mais lorsqu’on regarde à l’horizon, on voit la lueur de l’équilibre budgétaire poindre dans cinq ans, avec un microdéficit de 8 milliards, soit 0,3 % du PIB.

Sauf que le risque que d’autres dépenses s’ajoutent en cours de route est grand, puisque les provinces militent pour une hausse des transferts en santé, que l’OTAN réclame une hausse des dépenses militaires à 2 % du PIB (le budget ne les fait passer que de 1,34 % à 1,5 % dans cinq ans). Et on n’a pas parlé du programme d’assurance médicaments qui tient à cœur au NPD…

Les prévisions ne tiennent pas compte non plus des grandes incertitudes qui menacent l’économie mondiale. Une remontée plus rapide que prévu des taux d’intérêt, pour calmer l’inflation, pourrait nous plonger en récession.

Dans ce contexte, ce n’est pas le temps d’avoir les yeux plus grands que la panse.

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