Il suffit de prendre le téléphone pour le vérifier : l’humeur n’est pas au beau fixe chez les quelque 900 000 anglophones de la province.

Plusieurs d’entre eux affirment ne plus se retrouver dans les formations politiques existantes, y compris le Parti libéral du Québec, qui les a historiquement représentés.

Au point où une frange songe à créer un nouveau parti politique. Une situation qui rappelle l’émergence du Parti égalité, en 1989 – une formation qui avait fait élire quatre députés, mais qui s’était complètement effondrée au scrutin suivant.

On verra si le mécontentement actuel se canalisera bel et bien en parti politique. Dans tous les cas, il représente une mauvaise nouvelle pour la cohésion sociale. Et cela doit nous interpeller, à commencer par nos politiciens.

Le premier est François Legault.

Nul besoin d’un doctorat en science politique pour comprendre que d’un point de vue stratégique, ce qui se passe est du bonbon pour le premier ministre. La division du vote entre le Parti libéral et un éventuel « Parti égalité 2.0 » ne pourrait que bénéficier à la Coalition avenir Québec (CAQ).

Mais aucun premier ministre ne devrait se réjouir qu’une partie de la population dise se sentir aliénée dans sa propre province. La question linguistique a toujours été délicate au Québec. Après des années de paix relative, le spectre de nouvelles chicanes francos-anglos est tout sauf réjouissant.

Essentiellement, les récriminations des anglophones sont de trois ordres.

1) Ils n’ont pas digéré la loi 40, qui s’attaque aux commissions scolaires.

2) Ils ont encore la loi 21 sur l’interdiction des signes religieux en travers de la gorge (cette loi ne reçoit que 26 % d’appui chez les anglophones, contre 59 % chez les francos).

3) Ils se sentent bousculés par certains aspects du projet de loi 96 sur la protection du français actuellement étudié.

Qu’on soit d’accord ou non avec ces doléances n’est pas la question. Le fait est qu’elles existent et influenceront tant le climat social que la joute politique.

M. Legault a une grande part de responsabilité dans ce qui se passe.

Depuis son élection, le manque de sensibilité de ce gouvernement envers les minorités est flagrant. Combien de fois a-t-on entendu le premier ministre justifier des mesures touchant les droits des minorités en affirmant qu’une « majorité de Québécois est d’accord » ?

Sa réforme de la loi 101 est justifiée et absolument nécessaire – une bonne part des anglophones québécois en conviennent d’ailleurs. Mais elle est pilotée avec un flagrant manque de doigté.

La façon dont la subvention promise au collège Dawson a été annulée, par exemple, a profondément heurté les anglophones. « Si nous devons choisir des priorités, il vaut mieux agrandir les cégeps francophones avant d’ajouter de la capacité à Dawson », a brutalement déclaré M. Legault.

En pratiquant une politique de la division, la CAQ oblige les autres partis à choisir leur camp. Pour le Parti libéral, le grand écart entre le désir de conserver ses appuis anglophones et celui d’élargir son électorat francophone n’est pas nouveau. Mais il est plus difficile à réaliser dans ce contexte polarisé. C’est d’autant plus vrai que le parti tente de se redéfinir sur un échiquier politique de plus en plus chargé, qui compte maintenant cinq formations susceptibles de décrocher des sièges.

L’arrivée d’un sixième parti qui irait puiser dans sa base serait assurément un coup dur pour les libéraux. Mais dans un système parlementaire comme le nôtre (que la CAQ a d’ailleurs renoncé à réformer après l’avoir promis !), cette multiplication des partis n’est pas non plus souhaitable. La CAQ forme un gouvernement majoritaire même si elle n’a récolté que 37 % des votes aux dernières élections. Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois, avec un Parti conservateur plus fort et, peut-être, un nouveau parti anglophone ?

Les chefs des partis qui aspirent à gouverner le Québec ont le devoir de bâtir des ponts et de tendre la main aux électeurs de divers horizons. Attiser la division est peut-être payant politiquement. Mais le coût se mesure en fractures sociales.

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