Pierre Poilievre est assis devant une bibliothèque où sont posées des photos de famille. Il s’exprime sur un ton modéré au son d’une mélodie aussi relaxante que celle d’un spa.

Non, la mise en scène de cette vidéo que le député fédéral a mise en ligne pour se lancer dans la course à la direction du Parti conservateur n’a rien d’un ring de boxe, même s’il cogne habilement sur plusieurs cordes sensibles de la population : l’inflation qui gruge le pouvoir d’achat, la flambée du prix des maisons, les taxes trop élevées…

Mais personne ne se fait d’illusions tellement cette posture mesurée contraste avec le style habituel de M. Poilievre.

Sous le capot, ça fume en diable.

Les périodes de questions à la Chambre des communes ont prouvé que le député ontarien n’hésite jamais à laisser tomber les gants. Connu pour son ton cassant, il est passé maître de la « clip » qui tue. C’est lui qui a lancé la formule choc « Justinflation » pour s’attaquer aux dépenses immodérées du gouvernement Trudeau.

C’est de bonne guerre.

Sauf que sur la COVID-19, M. Poilievre a pris des positions radicales qui le discréditent et laissent peu d’espoirs sur la capacité de ce libertarien de se rapprocher des conservateurs plus au centre dont il aurait pourtant besoin afin de gagner des élections.

Dès le départ, M. Poilievre a été l’un des plus fervents partisans du « convoi de la liberté », lançant d’ailleurs une pétition contre la vaccination obligatoire, le passeport vaccinal et les mesures sanitaires.

On connaît la suite.

Des résidants d’Ottawa désespérés par trois semaines de siège inacceptable, des entreprises paralysées à cause du blocage d’un pont névralgique entre le Canada et les États-Unis, la démocratie mise en joue par des extrémistes – certains armés jusqu’aux dents.

Dans cet épisode douloureux de l’histoire du Canada, M. Poiliviere n’a pas été du bon côté de la clôture, alors que les conservateurs sont normalement les défenseurs de la loi et de l’ordre.

Mais après deux ans de pandémie, il est tentant de carburer au ras-le-bol de la population pour en tirer un avantage politique rapide, comme en témoigne la popularité de M. Poilievre.

Il est vrai que le terreau du populisme est plus fertile dans le reste du Canada, où les inégalités sociales sont plus grandes et les citoyens se reconnaissent moins dans les institutions. Dans les Prairies, la rancune envers Ottawa est alimentée de longue date par le sentiment d’injustice contre la péréquation et la fureur de l’industrie pétrolière face aux mesures pour lutter contre les changements climatiques.

Mais le mouvement populiste résonne aussi au Québec, à voir un sondage Léger qui plaçait cette semaine le Parti conservateur d’Éric Duhaime en deuxième position chez les Québécois francophones. Avec 14 % des intentions de vote, un grand bond de 9 points depuis décembre, il dépasse maintenant le Parti québécois et Québec solidaire.

M. Duhaime s’est toujours nourri aux controverses. Animateur de radio, il ne se gênait pas pour dénigrer la conduite automobile des femmes ou se moquer de l’environnement en se vantant de tout jeter à la poubelle.

Aujourd’hui encore, il fait dans le spectacle, comme le démontre le choix de sa toute première candidate, la comédienne Anne Casabonne, qui a tenu des propos scatologiques sur la vaccination.

En tapant sur le clou des mesures sanitaires, M. Duhaime marque des points à court terme en canalisant la frustration des citoyens, tant à gauche qu’à droite. Mais cette base hétéroclite risque de disparaître rapidement avec la pandémie.

Il est regrettable que M. Duhaime n’ait pas choisi une voie plus solide pour remettre sur les rails un parti conservateur classique, avec des positions de droite affirmées qui auraient eu le mérite d’élargir le débat politique. Par exemple, le rôle que le privé peut jouer dans une refonte du système de santé est une question qui mérite d’être débattue.

Sur la scène fédérale, il est aussi dommage que les conservateurs s’entredéchirent au lieu de jouer pleinement leur rôle. Les électeurs mériteraient des conservateurs moins caricaturaux, moins clivants.

Le rôle des grands partis nationaux est de trouver des terrains d’entente pour rassembler l’ensemble des Canadiens. De bâtir des plateformes politiques qui peuvent combler les fossés entre les citoyens et bâtir des ponts au-dessus des clivages.

Mais en ce moment, les risques de schisme qui menacent le parti sont plutôt le reflet des divisions du pays.

Il faut espérer qu’un autre candidat à la direction plus près du centre saura réussir à rassembler les troupes, là où Erin O’Toole a échoué, lui qui promettait une chose et son contraire, selon la province où il se trouvait, créant partout des mécontents.

Pour élargir leur base, les conservateurs pourraient commencer par offrir leurs cartes de membre gratuitement, comme les libéraux l’ont fait pour élire Justin Trudeau. Les purs et durs devront accepter de diluer un peu leur influence. Mais c’est le prix à payer pour se rapprocher des électeurs.

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