Pourquoi Justin Trudeau s’entête-t-il à rester sur les lignes de côté alors que les manifestants foutent chaque jour davantage le bordel à Ottawa et à la frontière canado-américaine ?

Il y a deux bonnes raisons à ça.

Premièrement, le gouvernement fédéral, en vertu de ses champs de compétences, est voué à un rôle de soutien dans cette crise. Nous y reviendrons plus loin.

Deuxièmement, il n’y a pas de solution évidente à ce problème. Si c’était le cas, les camionneurs seraient déjà à la maison.

En revanche, Justin Trudeau dispose d’un espace pour affirmer son leadership.

Et force est de constater qu’il ne l’occupe pas suffisamment.

On ne reproche pas au premier ministre de ne pas avoir utilisé l’armée pour mettre fin à la crise.

Non seulement ça ne correspond pas au style de gestion du gouvernement Trudeau, mais c’est une solution qui vient avec des risques de dérapages immenses.

On ne lui reproche pas non plus de ne pas reculer sur la question de la vaccination obligatoire pour les camionneurs.

Non seulement ça représenterait un terrible aveu de faiblesse, mais ça pourrait avoir l’effet inverse, c’est-à-dire encourager les manifestants à réclamer davantage de concessions.

Ce qu’on peut lui reprocher, par contre, c’est de ne pas remuer ciel et terre pour trouver un dénouement pacifique à cette crise.

On le concède : à la base, c’est parce que la police d’Ottawa n’a pas fait appliquer la loi dès le départ que tout a dégénéré dans la capitale fédérale.

Ses maladresses sont d’autant plus frappantes lorsqu’on les compare à la virtuosité avec laquelle la police de Québec a géré la colère des camionneurs qui ont perturbé le carnaval la fin de semaine dernière.

Avant le gouvernement fédéral, c’est aussi le gouvernement ontarien qui est davantage interpellé, tout comme d’ailleurs la police provinciale.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Doug Ford, premier ministre de l’Ontario

Mais Doug Ford est encore plus discret que Justin Trudeau depuis le début de la crise – il a toutefois qualifié d’illégale, mercredi, la manifestation qui bloque l’accès au pont Ambassador entre Windsor et Detroit.

Bref, le gouvernement fédéral est un acteur de soutien. Mais on s’attend néanmoins, de sa part, à une solide performance (à Hollywood, il y a même un Oscar pour ça).

Or, depuis plus d’une semaine, Justin Trudeau longe pratiquement les murs.

Il est bel et bien apparu lors du débat d’urgence lundi, mais son ton était conciliant et il n’a pas fait forte impression.

« On ne devrait pas lutter les uns contre les autres, on devrait s’unir pour lutter contre le virus », a-t-il dit.

C’est criant de vérité, mais c’est un peu l’équivalent de chanter Quand les hommes vivront d’amour aux manifestants.

Jusqu’ici, les appels à la solidarité ne les émeuvent pas beaucoup.

On comprend – et on partage – le ras-le-bol des manifestants à l’égard des mesures sanitaires.

Comme on peut comprendre certaines des doléances formulées mardi par le député libéral Joël Lighbound (et appuyées mercredi par un deuxième libéral, Yves Robillard), même si ses propos formaient une curieuse macédoine, qui a été rapidement récupérée par ceux qui s’opposent depuis longtemps à toutes les mesures sanitaires.

Ce n’est jamais bon signe quand vous séduisez… Maxime Bernier.

Cela dit, il est de plus en plus clair qu’on assiste au Canada à un mouvement de « sédition », comme l’a affirmé l’ancien gouverneur de la banque du Canada Mark Carney. Un soulèvement concerté contre l’autorité publique.

On parle de manifestants qui briment la liberté des citoyens sous prétexte de défendre la leur, qui ne reflètent aucunement les préoccupations de l’industrie du camionnage et qui – certains l’ont dit explicitement – réclament le départ du gouvernement.

On parle aussi de manifestants qui ont reçu le soutien politique et financier de la droite américaine inféodée à Donald Trump (et le NPD a raison d’avoir demandé, à ce sujet, une enquête du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada).

Faut-il le rappeler : ces politiciens américains et leurs partisans continuent de penser que l’insurrection au Capitole le 6 janvier 2021 doit être qualifiée d’« expression politique légitime ».

Il n’est donc pas étonnant de voir ces révolutionnaires s’énerver le poil des jambes en voyant ce qui se passe actuellement au Canada.

Ils constatent que notre pays n’est pas immunisé contre le virus antidémocratique qui a contaminé les États-Unis.

On voit donc mal pourquoi les manifestants, forts de cet appui, galvanisés par leurs succès internationaux, accepteraient de leur plein gré de rentrer à la maison prochainement. Et ce, même si on assiste à la levée graduelle des mesures sanitaires un peu partout au pays.

Raison de plus, pour le gouvernement fédéral, de trouver une façon de mettre fin rapidement à ce soulèvement de plus en plus perturbateur, mais de moins en moins légitime.

Raison de plus, pour Justin Trudeau, de faire preuve d’un plus grand leadership en temps de crise.

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