Imaginez s’il fallait rédiger une offre d’emploi pour trouver le nouveau chef du Parti conservateur.

Même les plus brillants experts en gestion de crise n’arriveraient pas à la rendre attrayante. Ils finiraient probablement par opter pour l’honnêteté et la transparence.

Du genre : parti autrefois prestigieux, mais aujourd’hui divisé et ingérable, cherche chef kamikaze. Ce politicien devra pouvoir unifier deux factions aux antipodes, qui ne s’entendent même pas sur les principes fondamentaux qu’ils doivent défendre.

D’autant plus qu’avec ces tensions à l’interne, parallèlement à l’adoption en 2014 d’une loi qui accorde plus de pouvoirs aux députés, le chef est plus que jamais sur un siège éjectable.

Il suffit qu’à peine plus de 20 % des élus contestent son leadership pour déclencher la tenue d’un vote de confiance.

C’est ce qui s’est passé dans le cas d’Erin O’Toole.

Même en obtenant le soutien d’une majorité de députés, l’abcès n’aurait pas été crevé pour autant. Diriger son parti jusqu’au prochain scrutin fédéral aurait été l’équivalent de participer à une compétition de ski acrobatique chaussé de raquettes.

Les élus lui ont épargné ce calvaire.

Il a subi un échec cuisant.

Mais cet échec, disons-le, ne repose pas uniquement sur les épaules d’Erin O’Toole et de son entourage.

Les militants du parti appréciaient encore leur chef, a révélé le récent rapport d’« autopsie électorale » sur la performance des conservateurs en campagne l’an dernier.

À l’interne, par contre, on estimait que le chef et sa garde rapprochée n’étaient pas à la hauteur, tant sur le plan des stratégies adoptées lors de la campagne électorale l’an dernier que de celles déployées à Ottawa pour contrer les libéraux.

Il est vrai, aussi, qu’il était parfois dur à suivre, Erin O’Toole.

Il tentait péniblement de plaire à la fois à l’aile plus progressiste du parti et aux conservateurs les plus radicaux.

Avait-il un problème de leadership au sein de son propre parti ? Oui, mais qui n’en aurait pas eu, à sa place ?

On touche ici, vous l’aurez compris, au cœur du problème : depuis le départ de Stephen Harper, le Parti conservateur est devenu ingouvernable.

La frange la plus radicale refuse d’accepter qu’un chef plus modéré comme Erin O’Toole se retrouve aux commandes.

La frange la plus progressiste, elle, a compris que seul un leader modéré réussira à s’emparer d’un plus grand nombre de sièges à l’est du Manitoba.

Elle a compris que dénoncer l’avortement, lutter contre l’interdiction des thérapies de conversion qui visent à changer l’orientation sexuelle, ou encore nier l’existence des changements climatiques ne sont pas des stratégies politiquement rentables si on veut, à terme, diriger le pays.

Elle a compris, enfin, que si on laisse les plus radicaux prendre le contrôle, le parti pourrait bien être condamné à la marginalisation et à la régionalisation.

Un peu comme son ancêtre, le Parti réformiste qui a tenté de changer son image et son nom (en devenant l’Alliance canadienne), avant de comprendre que son salut passait par une union avec le Parti progressiste-conservateur.

Avant la tenue du vote de confiance, Erin O’Toole a publié une série de commentaires incisifs sur les réseaux sociaux.

Ça n’a pas aidé sa cause parce qu’il donnait l’impression de laver son linge sale en public et de stigmatiser une partie de ses députés.

Sur le fond, pourtant, ses propos sont justes et son analyse est la bonne.

Il y a selon lui deux voies qui s’offrent à son parti. Une première qu’il qualifie de « mécontente, négative et extrême » et qu’il identifie notamment à Derek Sloane, ce député expulsé parce qu’il avait accepté le don d’un néonazi.

Cette voie est « un cul-de-sac qui transformerait le parti de la Confédération en NPD de la droite », a-t-il prédit.

L’autre voie, selon Erin O’Toole, est celle qui reconnaît que « le conservatisme est en évolution » et « qu’un message gagnant est un message d’inclusion, d’optimisme et d’espoir ».

Peut-être, tout compte fait, qu’il faudrait ajouter une précision à l’offre d’emploi pour recruter le nouveau chef…

Ça va lui prendre un véritable talent d’acrobate pour éviter le cul-de-sac et unifier ses troupes tout en nous expliquant quelle est la véritable nature du Parti conservateur… tout ça dans l’espoir de remporter le prochain scrutin.

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