Dans le film La grande séduction, les habitants d’un petit village de la Côte-Nord tentaient par tous les moyens de convaincre un médecin de s’y installer.

Si ce film était tourné aujourd’hui, sa vedette serait peut-être un… enseignant.

La pénurie d’enseignants n’en finit plus de ne pas finir et Québec doit déployer de nouveaux efforts pour en trouver, à court terme, des milliers de plus.

Le ministre de l’Éducation et celui du Travail, Jean-François Roberge et Jean Boulet, ont annoncé récemment de nouvelles mesures dans le cadre de l’« opération main-d’œuvre ».

Les mesures visent à recruter 8000 personnes en cinq ans dans le réseau de l’éducation, dont plus de 5000 enseignants.

Elles sont toutes valables.

Bonifier les conditions de rémunération des enseignants retraités qui acceptent de revenir dans le réseau ou offrir des horaires plus stables aux suppléants sont par exemple des solutions simples qui, sans être magiques, sont utiles.

Mais elles ne peuvent pas masquer le problème de fond qui force leur adoption : la profession enseignante n’est pas encore assez valorisée.

Et pour changer ça, un travail plus complexe, de longue haleine, est nécessaire.

Pure coïncidence : les nouvelles mesures visant à atténuer la pénurie d’enseignants sont annoncées alors que Camil Bouchard revisite trente ans plus tard son célèbre rapport : Un Québec fou de ses enfants.

On diffuse ces jours-ci une série documentaire, Un Québec toujours fou de ses enfants ?, qui permet au psychologue de faire le point sur les défis qui n’ont pas encore été relevés.

Et l’un de ses constats, c’est que le Québec n’est pas assez « fou de ses profs ».

« On ne reconnaît pas leur importance, nous a-t-il expliqué en entrevue jeudi. Tout le développement du Québec repose sur eux. À partir de la très petite enfance jusqu’à très tard. Et il n’y a pas, au Québec, de conscience aiguë de ça. »

Il y a une responsabilité indéniable de l’État québécois dans le fait qu’on ne valorise pas suffisamment les enseignants. Mais c’est une responsabilité partagée.

C’est à la société québécoise au grand complet que revient la responsabilité de ce problème.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le psychologue Camil Bouchard, en 2019

Camil Bouchard, qui est entré à l’école en 1951, rappelle que les enseignants étaient autrefois considérés comme des figures d’autorité.

« Les parents avaient une espèce d’anxiété ou de crainte qu’on déplaise à notre enseignante. Ils nous voulaient obéissants et polis auprès des profs », dit-il, faisant remarquer que ça allait de pair avec l’environnement religieux, « de soumission », qui existait à l’époque.

La religion a pris le bord.

Et on a jeté le bébé avec l’eau du bain.

On n’est plus assez fous de nos profs.

On devrait pourtant les « vénérer », pense Camil Bouchard.

On peut peut-être – prudemment – alléguer que le point de bascule a été atteint et que la situation est en train de changer.

À Québec, la CAQ dit faire de l’éducation une priorité et a reconnu l’importance de valoriser la profession.

La rémunération des enseignants vient d’ailleurs d’être bonifiée de façon substantielle.

Mais au sein de la profession enseignante, les doléances demeurent nombreuses (sans même parler de celles qui sont liées à la pandémie).

Le salaire est une chose, les conditions de travail en sont une autre, ont toujours dit les enseignants.

Il est vrai que des progrès restent à faire.

Vrai que les enseignants n’ont jamais obtenu suffisamment de soutien pour faire face à l’explosion du nombre d’élèves qui présentent des difficultés d’apprentissage dans leurs classes.

Vrai aussi que le renforcement du système à trois vitesses (privé, public et programmes sélectifs au sein du public) n’a fait qu’accroître le problème.

Tout ça n’a fait que confirmer l’impression, chez les enseignants, qu’on ne tient pas compte de leur avis et qu’on les considère comme de simples exécutants.

La liste ne s’arrête pas là, mais ce résumé permet de comprendre ce qui structure le problème de la dévalorisation.

L’apport des retraités et des autres mesures d’urgence n’est pas négligeable alors que la pénurie d’enseignants demeure préoccupante. Mais le problème pourra uniquement se régler de façon définitive si on parvient à faire grimper la valeur qu’on attribue à cette profession.

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