Sans une certaine partie de golf, le rapport de l’ancien juge de la Cour suprême Morris Fish n’aurait pas fait grand bruit. Une révision de la justice militaire, prévue tous les sept ans, ça ne soulève pas exactement les passions. Mais cette fois, c’est un trou d’un coup.

En même temps que le rapport était rendu public par le ministre de la Défense, on apprenait qu’un ancien chef de l’état-major, Jonathan Vance, qui fait l’objet d’une enquête pour inconduite sexuelle, est allé faire un 18 trous avec le numéro 2 des Forces armées canadiennes, Mike Rouleau.

Or, ce numéro 2 a le pouvoir de donner des directives à la police militaire qui fait enquête sur les allégations qui pèsent sur M. Vance. Apparence de conflit d’intérêts, vous dites ? Pas qu’un peu et Mike Rouleau a été contraint de quitter son poste.

Pour illustrer le propos du juge Fish, qui plaide en faveur d’une beaucoup plus grande indépendance des principaux intervenants de la justice militaire, on aurait difficilement pu faire mieux. Et pour montrer l’urgence d’agir aussi.

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En ce moment, les juges, les policiers et les avocats militaires font partie de la chaîne de commandement des Forces armées canadiennes. C’est-à-dire que leurs supérieurs hiérarchiques peuvent en principe intervenir et peuvent nuire à leur avancement dans l’organisation.

Plusieurs militaires ont d’ailleurs l’impression que les juges sont toujours plus accommodants avec les officiers de haut rang qu’avec les simples soldats, note le juge Fish dans son rapport. Et ça mine la confiance qu’ils ont dans le système.

D’autant plus que ces jours-ci, ce sont les membres de l’état-major qui sont enlisés dans une fosse de sable. Deux anciens numéro 1 des Forces armées font l’objet d’enquêtes pour inconduite sexuelle. Et la liste ne s’arrête pas là.

Vous vous rappelez peut-être cette photo mise en ligne par l’ancien chef d’état-major qui avait fait beaucoup rire parce que sous le cliché, où on voyait huit hommes blancs, Art McDonald parlait d’ouverture à la diversité dans les Forces armées.

Voyez la photo en question

Sur les huit hommes présents, quatre ont dû quitter leur poste et un autre est dans l’embarras. Ça non plus, ça ne s’invente pas.

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La crise qui secoue les Forces armées met en péril sa crédibilité et sa stabilité. Et la justice militaire – ancrée dans un autre temps – fait assurément partie du problème.

Il n’y a pas que l’indépendance des juges et de la police militaire qui suscitent l’inquiétude, mais aussi le fait que les victimes d’agressions sexuelles doivent toujours passer par leurs commandants hiérarchiques pour signaler un méfait. Le système des griefs, qui permet aux membres des Forces armées de faire entendre leurs doléances par rapport à leurs conditions de travail, est complètement brisé. Les délais pour se faire entendre dépassent les deux ans dans la majorité des cas. Pas super pour le moral des troupes qui n’ont ni syndicat ni association pour les représenter !

Dans son rapport de près de 400 pages aux propos souvent cinglants, le juge Fish énonce 107 recommandations pour remettre la justice militaire sur son tee. Plusieurs d’entre elles peuvent être mises en place immédiatement. Au gouvernement de frapper la belle. Et vite.

Le ministre de la Défence, Harjit Sajjan, lui-même un ancien militaire, a accepté en principe les recommandations du juge et promet d’en réaliser 36 à « court terme ». C’est bien, mais il faudrait définir ce « court terme ». Parle-t-on de quelques semaines ou de quelques années ?

Considérant que la majorité des mesures suggérées par la juge Deschamps en 2015 pour faire face à l’épineux problème d’inconduites sexuelles dans les rangs n’ont toujours pas été mises en place, la promesse d’agir à « court terme » semble beaucoup trop nébuleuse. Ça prend un échéancier.

Il ne serait pas juste de dire que le gouvernement ne fait rien. Les têtes roulent et des femmes accèdent enfin aux plus hauts postes des Forces armées. L’ancienne juge Louise Arbour a récemment reçu le mandat de pousser beaucoup plus loin l’analyse du phénomène d’inconduite sexuelle pour l’ensemble de la hiérarchie militaire. On n’est plus dans le déni.

Mais quand Justin Trudeau affirme en conférence de presse qu’il n’y a aucune tolérance au gouvernement pour les comportements « malsains » au sein des Forces armées, on ressent un certain malaise. Tout ça dure depuis bien trop longtemps.

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