Vous croyiez qu’Ottawa avait pris le parti des consommateurs afin de réduire les prix de l’internet au pays ?

Détrompez-vous. Ce n’est plus le cas.

Dans une décision largement télégraphiée par le gouvernement Trudeau, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) vient d’annuler des baisses de tarif dans l’internet… qu’il avait lui-même exigées il y a à peine deux ans.

Une volte-face à 180 degrés que l’organisme fédéral explique… par des « erreurs » commises en 2019. On ne demande qu’à le croire. Sauf que le CRTC refuse de présenter un nouveau calcul pour justifier son virage pro-industrie.

Les Canadiens sont en droit d’exiger de meilleures explications.

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Tentons de voir clair dans cette curieuse histoire.

Le nerf de la guerre, ici, est le tarif que peuvent imposer les grandes entreprises de télécommunications comme Bell, Telus, Rogers et Vidéotron aux petits revendeurs comme EBOX et Distributel qui utilisent leurs réseaux.

PHOTO TIM WIMBORNE, ARCHIVES REUTERS

« Le nerf de la guerre, ici, est le tarif que peuvent imposer les grandes entreprises de télécommunications comme Bell, Telus, Rogers et Vidéotron aux petits revendeurs comme EBOX et Distributel qui utilisent leurs réseaux », explique notre éditorialiste.

Rappelons que ces acteurs secondaires existent pour casser les prix de l’oligopole qui domine le marché canadien.

En 2019, le CRTC avait déclenché la colère des grands en les obligeant à diminuer les tarifs qu’ils imposent aux petits. Les EBOX de ce monde jubilaient, tout comme les associations de défense des droits des consommateurs. La décision laissant entrevoir des baisses de prix – une bouffée d’air frais pour les Canadiens, qui paient leur internet beaucoup plus cher que les Européens.

Mais les grandes entreprises ont contesté la décision. Les baisses de tarifs ont été suspendues le temps d’y voir clair (et restent inappliquées à ce jour).

Les recours devant les tribunaux intentés par les grands de l’internet se sont heurtés à un mur. Mais les pressions politiques, elles, ont porté leurs fruits.

Le gouvernement Trudeau a publiquement fait savoir qu’il était insatisfait de la décision de 2019 et qu’il s’attendait à une révision.

C’est cette révision qui vient d’être publiée. Et pour les petits revendeurs, elle est brutale. Les juteuses baisses de tarifs prévues sont annulées de façon définitive.

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Quel est le juste tarif que doit payer EBOX pour accéder au réseau de Vidéotron ? Bien malin qui peut le calculer précisément dans son salon.

On sait toutefois qu’il faut un équilibre. Un tarif trop bas donne un avantage indu à EBOX, qui peut surfer sur le réseau de Vidéotron et attirer ses clients avec de bas prix. Si on pousse trop dans cette direction, on court le risque que Vidéotron n’ait plus les capitaux pour développer ses coûteuses infrastructures. Ça veut dire un internet moins performant, particulièrement dans les régions éloignées.

À l’inverse, si EBOX doit verser des tarifs trop élevés à Vidéotron, il devient incapable de jouer son rôle de faire baisser les prix. C’est l’abordabilité de l’internet qui est menacée – un aspect tout aussi capital, surtout pour les moins nantis.

Où tracer la ligne ? C’est justement le rôle du CRTC de le faire. Or, dans sa dernière décision, l’organisme fédéral abdique ses responsabilités.

Il admet des « erreurs » dans son calcul de 2019, mais affirme que refaire l’exercice « prolongerait la période d’incertitude ».

L’organisme réglementaire choisit donc simplement d’annuler les baisses de tarifs et de conserver ceux qui sont actuellement en vigueur. Dans une désinvolture stupéfiante, il affirme que, de toute façon, les nouveaux calculs arriveraient « probablement » à des tarifs qui « s’approcheraient » de ceux utilisés actuellement.

Ça manque de sérieux, surtout que les « erreurs » confessées ne sont pas anodines. Chez Vidéotron, par exemple, le tarif d’accès mensuel pour une connexion de 150 mbit/seconde est de 14,30 $ dans la décision de 2019… et de 53,15 $ dans celle qui vient d’être publiée. Un écart titanesque de 270 % !

Un revirement aussi radical exige des explications convaincantes. Et, oui, ça implique que le CRTC ressorte sa calculatrice. Et prouve aux Canadiens qu’il ne fait pas que céder aux pressions de l’oligopole des télécoms.

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