Ne passons pas par quatre chemins : les contribuables viennent de se faire passer un sapin par Air Canada.

Le transporteur aérien a fait par en arrière ce qu’Ottawa lui a interdit de faire dans le futur lorsqu’il lui a envoyé une bouée de sauvetage de 5,9 milliards pour l’aider à traverser la pandémie, en avril dernier.

Pas question que cet argent serve à enrichir les grands patrons, avait bien dit le gouvernement fédéral en plafonnant à 1 million de dollars la rémunération des hauts dirigeants.

Cette somme faramineuse doit servir à rembourser les voyageurs, ce qu’Air Canada avait si longtemps refusé de faire, et à aider le transporteur à retrouver son rôle névralgique dans l’économie. Fort bien.

Mais voilà qu’on découvre que les employés clés d’Air Canada se sont accordé un boni spécial de 10 millions de dollars… pour l’année 2020. Au final, les cinq plus importants dirigeants ont touché une rémunération globale variant entre 1,6 million et 9,2 millions l’an dernier.

D’accord, cette période n’est pas couverte pas l’entente, signée en 2021. Et Air Canada jure avoir bonifié la rémunération de sa direction avant d’entreprendre les négociations avec Ottawa.

Mais la stratégie est quand même immorale, puisque le fédéral avait annoncé dès novembre dernier son intention de soutenir l’industrie. Sans compter que le transporteur, que l’opposition qualifie de « glouton », a touché plus de 650 millions en subventions salariales depuis le début de la pandémie.

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Pourtant, l’ancien patron d’Air Canada Calin Rovinescu ainsi que Michael Rousseau, qui lui a succédé, avaient tous deux renoncé à la totalité de leur salaire entre avril et juin, et à 20 % de leur paie pour le reste de l’année.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Calin Rovinescu, ancien PDG d’Air Canada

Ce geste avait passé pour un bel élan de solidarité. Mais par la suite, l’entreprise a accordé aux dirigeants la possibilité de récupérer une partie de leur salaire en précisant qu’ils avaient « réagi de manière urgente, décisive et judicieuse pour atténuer l’impact de la pandémie de COVID-19 ».

Cela pose un sérieux problème d’équité, car Air Canada a retourné plus de 20 000 employés à la maison. Et plusieurs d’entre eux, notamment quelque 7000 agents de bord, n’ont même pas eu droit à la subvention salariale, parce que l’entreprise n’a pas voulu maintenir leur lien d’emploi.

Cette divergence flagrante de traitement entre la haute direction et les employés sur le plancher des vaches risque de plomber la motivation des troupes lorsque le transporteur aérien reprendra sa vitesse de croisière.

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Ah oui, et Air Canada a aussi modifié les règles de son programme de rémunération à long terme, dégonflé par la chute de l’action de l’entreprise. À quoi bon mettre en place une politique de rémunération, si c’est pour changer les règles après coup, quand ça n’est pas assez payant ?

Pile, je gagne. Face, tu perds. Peu importe le contexte, il semble toujours y avoir une bonne raison pour soutenir la rémunération des hauts dirigeants. Quand les actions grimpent, c’est grâce à eux. Mais quand la situation tourne au vinaigre, ils n’y sont pour rien.

Tout cela alimente le cynisme de la population, à juste titre. Les écarts de rémunération sont déjà un sujet houleux. On l’a vu lorsque l’ancien patron de Bombardier Alain Bellemare a reçu 17,5 millions de dollars en indemnité de départ après avoir démantelé l’entreprise en déroute.

Dans un contexte de pandémie où le gouvernement a déployé des centaines de milliards pour sauver l’économie, la rémunération des dirigeants devient une question encore plus explosive. Une question de décence.

En tant que nouvel actionnaire d’Air Canada, la moindre des choses serait qu’Ottawa se prononce contre ce plan de rémunération et qu’il fasse entendre la voix des contribuables lors de la prochaine assemblée des actionnaires.

La ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, qui a négocié l’entente avec Air Canada, a de quoi être en beau fusil de chasse. Elle qui a mis l’accent sur la lutte contre les iniquités dans son premier budget a maintenant une occasion en or de montrer de quel bois elle se chauffe.

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