Pas facile de convaincre un ami de vous inviter à dîner quand, la dernière fois que vous êtes allé chez lui, vous avez provoqué un tel dégât qu’il a fallu refaire sa cuisine.

C’est un peu ce qui se passe dans le conflit qui oppose la société albertaine Enbridge et l’État du Michigan au sujet de la canalisation 5, un enjeu qui peut paraître lointain, mais qui concerne l’essence qu’on met dans nos voitures.

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Cette pancarte à Sarnia, en Ontario, indique la présence de la canalisation 5 d’Enbridge, que la gouverneure du Michigan souhaite fermer.

Cet oléoduc qui traverse le Michigan permet notamment d’acheminer le pétrole de l’Ouest canadien aux raffineries de l’Ontario et du Québec. C’est grâce à cette canalisation qu’on utilise maintenant surtout du pétrole canadien au Québec plutôt que du pétrole étranger.

C’est une excellente chose. Il est bon pour l’intérêt national que les ressources de l’ouest circulent vers l’est, surtout lorsque le pétrole albertain peine tant à atteindre les marchés.

Bref, la canalisation 5 sert très bien les intérêts canadiens.

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La gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer

Le Michigan voit les choses différemment. La gouverneure démocrate de l’État, Gretchen Whitmer, veut absolument fermer le robinet de la canalisation 5. Quitte à bouleverser l’approvisionnement en produits pétroliers de son propre État. Et quitte à déclencher une guerre diplomatique avec le Canada.

De ce côté-ci de la frontière, on a tendance à y voir un caprice. Mais Mme Whitmer a ses raisons de craindre ce pipeline vieux de 67 ans et l’entreprise qui l’exploite.

Au Michigan, Enbridge a à peu près la même réputation que Gaston Lagaffe au Journal de Spirou. En 2010, l’entreprise a déversé 20 000 barils de bitume albertain dans la rivière Kalamazoo quand son oléoduc 6B s’est rompu. Il a fallu cinq ans pour nettoyer les dégâts.

Quand l’entreprise de Calgary assure que sa canalisation 5 est sécuritaire, on comprend donc les habitants du Michigan d’être un brin méfiants. On leur avait dit la même chose de la 6B.

La situation est d’autant plus inquiétante que la canalisation 5 traverse une zone névralgique, le détroit de Mackinac. Ce bras d’eau sépare deux des plus grandes étendues d’eau douce au monde, les lacs Huron et Michigan. Une fuite ici pourrait s’avérer catastrophique.

Mme Whitmer a donc réclamé la fermeture de la canalisation 5 dès le mercredi 12 mai. Enbridge n’a pas obtempéré et l’affaire est devant les tribunaux.

Le Canada travaille en coulisses auprès de Joe Biden, mais il aura fort à faire. Celui-ci n’est pas chaud à l’idée de salir sa réputation environnementale pour un enjeu qui sert surtout les Canadiens.

Quelles cartes le Canada peut-il jouer ? Nous en voyons une. Celle du grand frère qui promet d’avoir son turbulent cadet Enbridge à l’œil pendant le souper.

Sécuriser au lieu de fermer

Réglons le cas de l’éléphant dans la pièce. Fermer la canalisation 5 ne ferait rien, ou alors si peu, pour la transition énergétique. Contrairement aux dossiers controversés d’Énergie Est ou de Keystone XL, on ne parle pas ici d’étendre le réseau d’oléoducs, mais bien d’en maintenir un déjà existant.

Si la canalisation 5 d’Enbridge fermait, l’Ontario et le Québec ne consommeraient pas moins de pétrole. Celui-ci viendrait soit encore de l’Alberta, mais par camion et par train, soit de l’étranger par bateau.

C’est logistiquement plus complexe. Et c’est loin d’éliminer les risques. La meilleure solution est ailleurs. Elle est de sécuriser la canalisation 5.

Enbridge songe déjà à enfouir son oléoduc dans un tunnel. Si la canalisation fuyait, le pétrole serait contenu. Le hic est qu’il faudrait plusieurs années pour creuser ce tunnel, et le Michigan s’inquiète d’une fuite entre-temps.

C’est ici que le Canada doit rassurer – et veiller au grain. Il pourrait forcer Enbridge à tout faire pour que son oléoduc soit sécuritaire pendant la construction du tunnel, peu importe les moyens technologiques à déployer. Et mettre sa crédibilité dans la balance.

Il n’est dans l’intérêt de personne que du pétrole canadien vienne souiller les Grands Lacs. Ces risques peuvent être réduits au minimum. C’est ce qu’on doit faire valoir, tant au Canada qu’au Michigan.

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