Déroute au marché Jean-Talon : stands vacants et rapport dévastateur du contrôleur général de la Ville. Diminution de moitié de l’achalandage pendant la pandémie tant au marché Atwater qu’au marché Maisonneuve. Les grands marchés publics de Montréal, pionniers dans leur genre en Amérique du Nord, pourraient broyer du noir en ce deuxième printemps covidien. Au lieu de cela, ils comptent faire partie de la relance de l’économie montréalaise en rapprochant plus que jamais les producteurs locaux et les commerçants indépendants des Montréalais. Entrevue éditoriale avec le nouveau directeur général de la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal, Nicolas Fabien-Ouellet.

Quand vous êtes arrivé à la direction générale par intérim en 2019, le marché Jean-Talon était en pleine crise. Des commerçants avaient été accusés de sous-louer leurs espaces de manière illégale. Les membres du conseil d’administration donnaient leur démission les uns après les autres, certains craignant pour leur intégrité. Les méthodes de gestion étaient critiquées. Comment fait-on face à de tels défis ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Nicolas Fabien-Ouellet est directeur général de la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal depuis décembre 2020, mais fait partie de l’équipe depuis 2018, période pendant laquelle le marché Jean-Talon était secoué par une crise profonde. Il est convaincu que le réseau de marchés publics de Montréal, incluant trois grands marchés, mais aussi des marchés de quartier, a de beaux jours devant lui et peut contribuer à la relance de l’économie montréalaise.

Il fallait trouver un nouveau mode de gouvernance, une nouvelle manière de prendre des décisions. On a fait beaucoup de consultations avec nos 200 membres, qui sont des commerçants, et on a trouvé des solutions. Aujourd’hui, notre conseil d’administration est composé de cinq de nos membres ainsi que de cinq personnes externes. Nous avons aussi un observateur de la Ville. On s’est dotés d’un nouveau règlement et d’une vision pour les cinq prochaines années. Et ça a été accepté à 80 % en assemblée générale. Il reste deux litiges qui sont en cours de résolution, mais sinon, les conflits sont derrière nous et on part sur de nouvelles bases qui nous permettent de recruter de nouveaux marchands.

> Lisez l’article de Suzanne Colpron de novembre 2019

Vous parlez de vision. Quelle est-elle exactement ?

On fait deux choses dans les marchés publics : on nourrit la population montréalaise et on offre des opportunités commerciales pour des entreprises. On parle de commerces indépendants, de fermiers qui offrent des produits frais, de détaillants spécialisés, de restaurateurs et de transformateurs, que ce soit de fromage ou de saucisson. On a aussi des marchés de quartier et des marchés solidaires. La vision, c’est de consolider ce qu’on a. On a de l’amour à donner aux trois grands marchés. À long terme, on veut étendre l’accès, mais sans cannibaliser ce qu’on a.

La pandémie a révélé le meilleur et le pire de beaucoup d’institutions au Québec. Est-ce que ça a été la même chose dans le réseau de marchés publics de Montréal ?

On a été ouverts tout le long de la pandémie, sauf les dimanches où le gouvernement avait ordonné la fermeture. Les Montréalais ont redécouvert l’importance des marchés comme des services essentiels pendant la pandémie. Et ils ont renoué avec leurs marchands. Les gens voient les marchés comme des lieux d’achat local et c’est vrai. On a connu une baisse d’achalandage l’an dernier, mais la valeur du panier d’achats, elle, a augmenté. Au lieu de dépenser de 25 à 50 $ par visite, là on est plus près de 40 à 60 $. On a aussi vu les enfants des propriétaires de stands, qui sont souvent là depuis plusieurs générations, pousser à la roue. On voit le début d’une relève.

Plus tôt, vous parliez d’accroître l’accessibilité. Notre rencontre a lieu au marché Atwater. Ce marché est entouré de trois quartiers – Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne – qui, même s’ils attirent de plus en plus de gens aisés, ont aussi une importante population à faible revenu. Beaucoup considèrent que le marché Atwater est inaccessible. Est-ce un souci pour vous ?

On a fait une étude pour savoir ce que les gens veulent, ce qu’ils aiment et n’aiment pas. Le prix revient de manière récurrente : les gens veulent que ce soit moins cher. On a la possibilité d’avoir un segment pour les produits de niche, mais également un segment pour le gros et on va développer dans ce sens, pour que tout le monde s’y retrouve, que ce soit à Atwater, Jean-Talon ou Maisonneuve. On veut aussi continuer à mettre de l’avant les nouvelles tendances culinaires. Les chefs viennent ici pour demander aux marchands : as-tu quelque chose de nouveau pour moi ? Et après ils le font connaître au public. Introduire de nouveaux produits, c’est un rôle historique des marchés.

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Le marché Jean-Talon

Vous êtes un expert des systèmes agroalimentaires. Vous avez notamment fait votre maîtrise à l’Université du Vermont à Burlington, une ville qui adore les marchés fermiers. Qu’avez-vous rapporté dans vos bagages ?

Parlant d’accessibilité, il existe aux États-Unis un programme de coupons pour permettre aux gens qui ont un moins grand pouvoir d’achat d’acheter dans les marchés fermiers. Ici, il y a un projet pilote initié par le Carrefour alimentaire Centre-Sud. La carte proximité permet d’avoir accès à des produits dans les marchés solidaires près des métros Sauvé et Frontenac. On aimerait étendre ça à la grandeur de notre réseau.

Il y a un autre projet inspiré du Vermont qu’on va tester au marché Jean-Talon pour les nouvelles entreprises agricoles. Elles ont déjà plein de défis pour trouver des terres, des employés et se faire certifier bio. On veut leur rendre la vie facile quand elles veulent commercialiser leurs produits à Montréal avec des stands clés en main où elles peuvent venir deux ou trois jours au début. Elles peuvent tester la première année et revenir pour plus de jours l’année suivante. C’est une manière de faciliter l’arrivée de la relève.

Dans votre mémoire de maîtrise portant sur le lien entre la nourriture et l’identité culturelle, vous vous êtes notamment penché sur l’ascension sociale de la poutine ! En quoi votre travail universitaire informe ce que vous faites aujourd’hui ?

Dans mes études, j’ai regardé le lien entre la nourriture et l’identité territoriale. Et on peut dire que les marchés sont une grande partie de l’ADN de la gastronomie montréalaise. Les marchés publics, c’est le lieu pour goûter Montréal et le Québec. Ce qu’on aime, c’est cette diversité et l’inclusivité des marchés. Tout le monde se rencontre au marché. C’est un lieu de commerce, mais c’est un lieu social aussi. Ce sont nos nouvelles églises.

Comment voyez-vous ces « nouvelles églises » s’insérer dans la relance post-pandémie de l’économie ?

C’est gagnant d’aller au marché public, pas juste pour bien manger, mais pour l’économie d’ici. Les marchés publics sont au centre de la consommation locale. Nos marchands sont indépendants et l’argent dépensé dans les marchés circule dans l’économie beaucoup plus que si on dépense dans les grandes chaînes. C’est un phénomène bien documenté. Aussi, ça crée plus d’emplois locaux. Venir ici, c’est faire de plus grandes retombées pour le Québec.

Une version plus ancienne du texte ne mentionnait pas les initiateurs de la carte proximité.

Les grands marchés publics montréalais en un coup d’œil

Marché Jean-Talon : le navire amiral

Depuis 1933 : 93 membres commerçants (occupation de 80 %)

Achalandage :

2019 : 3,2 millions

2020 : 1,6 million

2021 : 2,4 millions (projection)

2022 : 3,2 millions (projection)

2025 : 3,4 millions (projection)

Marché Atwater : le beau du canal

Depuis 1933 : 65 membres commerçants (occupation proche de 100 %)

Achalandage :

2019 : 1,8 million

2020 : 880 000

2021 : 1,3 million (projection)

2022 : 1,8 million (projection)

2025 : 1,9 million (projection)

Marché Maisonneuve : le marché de quartier

Depuis 1914, déménagé en 1995 : 13 membres commerçants (occupation de 100 %)

Achalandage :

2019 : 928 000

2020 : 464 000

2021 : 696 000 (projection)

2022 : 928 000 (projection)

2025 : 985 000

Source : Plan de développement 2021-2025, Marchés publics de Montréal

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