Le Canada a choisi l’approche des petits pas pour réglementer les néonicotinoïdes, ces insecticides qualifiés de « tueurs d’abeilles » désormais interdits en Europe.

On pourrait même parler de très petits pas.

Le problème, quand on marche ainsi, c’est qu’on n’avance pas vite.

Le fédéral avait pourtant annoncé en 2018 son intention d’interdire les fameux « néonics ». Mais il a reculé et croit maintenant qu’il est possible d’encadrer leur utilisation.

Une première série de restrictions a été annoncée il y a deux ans pour protéger les abeilles et les autres insectes pollinisateurs. De nouvelles normes viennent d’être annoncées, cette fois pour limiter les impacts sur les invertébrés aquatiques.

En gros, on limite les doses permises, on interdit l’utilisation des néonicotinoïdes dans certains contextes et on exige des zones tampons pour protéger les cours d’eau.

PHOTO MARCIO JOSE SANCHEZ, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les néonicotinoïdes sont des insecticides qualifiés de « tueurs d’abeilles ».

Pour de nombreux scientifiques, c’est insuffisant. Surtout qu’on donne deux longues années aux agriculteurs pour se conformer aux nouvelles règles, et même quatre ans lorsqu’il n’existe aucune solution de rechange.

Les optimistes diront que c’est mieux que rien. Mais dans ce dossier complexe, il faut faire la balance des enjeux.

Partout dans le monde, les populations d’insectes s’effondrent. Il est difficile de s’émouvoir du sort d’un coléoptère, mais les insectes sont les piliers de nos écosystèmes. Ils pollinisent les plantes et forment la base de la chaîne alimentaire.

Cette chute des populations d’insectes est multifactorielle. Mais les insecticides figurent parmi les principaux coupables. Ce n’est pas terriblement surprenant : ces produits, après tout, ont été conçus pour… tuer des insectes.

Les néonicotinoïdes sont particulièrement dénoncés parce qu’ils ont un large spectre d’action. En clair, ils tuent plusieurs insectes différents. Dans un champ, c’est évidemment pratique. Mais ça provoque des dommages collatéraux.

Ce sont ces enjeux qu’on doit avoir en tête quand on voit que le gouvernement fédéral n’ose même pas interdire l’utilisation des néonics… sur le gazon des terrains de golf !

On peut parler de manque de courage.

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Les enjeux entourant la production de nourriture sont évidemment plus complexes.

Au Québec, les pratiques ont beaucoup évolué. Jusqu’à tout récemment, les néonics étaient considérés comme une police d’assurance qu’on se payait pour mettre toutes les chances de son côté. Les semences de maïs, notamment, en étaient systématiquement enrobées.

Aujourd’hui, il faut la prescription d’un agronome – et la démonstration d’un problème – avant de les utiliser.

C’est déjà un immense changement.

Faut-il les bannir complètement ? Il est évidemment facile de le réclamer à partir d’un bureau de Montréal, tout en profitant des fruits et des légumes pas chers au Provigo du coin.

Une étude québécoise qui a fait grand bruit a montré que les néonicotinoïdes n’apportent aucun gain dans 95 % des champs de maïs et de soya québécois.

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Mais ce n’est pas vrai pour toutes les cultures. Quand la mouche de l’oignon envahit un champ, les options du cultivateur qui doit sauver sa récolte sont limitées.

« On ne peut complètement se passer des insecticides de synthèse parce qu’on n’a pas de solutions de rechange pour toutes les cultures et toutes les situations », dit Jacques Brodeur, de l’Université de Montréal, pourtant un expert en solutions biologiques pour l’agriculture.

Ce que dit le professeur Brodeur, toutefois, c’est qu’il n’y a rien comme envoyer le signal à l’industrie qu’on s’apprête à interdire les produits les plus problématiques pour qu’elle innove et trouve des solutions. Des insecticides de nouvelle génération, plus spécifiques et homologués selon des critères modernes et des études indépendantes.

À quand ce message clair du fédéral qu’on veut passer à autre chose ?

N’utiliser les insecticides qu’en cas de nécessité absolue… et exiger des produits qui agissent de la façon la plus chirurgicale possible quand on le fait. Si on est sérieux dans notre volonté de s’attaquer aux grands enjeux de biodiversité, c’est le minimum.

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