À première vue, l’histoire est irrésistible. De petits investisseurs s’allient contre les financiers de Wall Street et les battent à leur propre jeu.

En s’organisant pour propulser le cours de quelques actions en Bourse, dont leur bien-aimé détaillant de jeux vidéo GameStop, des adeptes du forum WallStreetBets ont fait perdre des milliards aux puissants fonds de couverture, ou hedge funds.

PHOTO JOHN MINCHILLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le détaillant de jeux vidéo GameStop, dont l’action fait l’objet d’un bras de fer boursier entre petits investisseurs et de puissants hedge funds

Puisque ces fonds avaient parié sur la chute des actions, ils ont dû retourner leur veste et racheter les titres pour limiter leurs pertes… contribuant ironiquement à l’explosion des actions. Le résultat fut catastrophique pour plusieurs fonds de couverture. Melvin Capital a même dû être secouru par d’autres !

Ces coups d’éclat, les particuliers les ont accomplis de leur sous-sol, à partir d’une simple application de courtage appelée Robinhood.

La trame narrative est puissante, pas étonnant que Netflix et les studios MGM travaillent déjà à en tirer des films. Cette victoire est celle de David contre Goliath, celle des gars en t-shirt contre les gars en cravate (parce qu’on trouve surtout des gars des deux côtés).

Bref, c’est Robin des bois qui donne une raclée aux loups de Wall Street.

Personne ne va pleurer sur le sort des hedge funds, qui surfent eux-mêmes sur la spéculation et dont les dirigeants sont outrageusement payés. Et il est tentant d’applaudir en voyant Wall Street essuyer des déconvenues. Les financiers ont plongé l’économie mondiale en crise en 2008 et n’en ont jamais vraiment payé le prix, malgré des mouvements de protestation comme Occupy Wall Street.

Sauf que cette belle histoire comporte sa part de zones d’ombre. Et elle risque de mal finir pour les héros principaux.

« Militantisme » et appât du gain

Si les investisseurs ont gagné une manche contre Wall Street, la partie n’est pas exactement terminée. Restons avec l’exemple de GameStop. En début d’année, l’action vivotait sous la barre des 20 $ US. Elle a atteint 483 $ US la semaine dernière, un prix évidemment complètement divorcé du réel.

Plusieurs petits investisseurs étaient fiers d’avoir acheté le titre à fort prix, preuve de leur « militantisme numérique ». Encore aujourd’hui, ils se font un devoir de conserver leurs actions dans l’espoir d’en maintenir le prix élevé. Le Journal de Montréal racontait l’histoire d’un Québécois qui achète de la pub pour les inciter à « tenir la ligne ».

Faut-il préciser qu’il s’agit d’un jeu dangereux ? Oui, plusieurs ont fait fortune dans cette folie spéculative. Mais l’action de GameStop a déjà solidement dégringolé depuis et son retour à la normale n’est sans doute pas terminé. Combien y perdront l’argent de leur loyer et celui du mois prochain ? Combien de drames personnels y seront associés ?

Pendant ce temps, les médias rapportent que le patron du fonds Melvin Capital agrandit sa maison de 44 millions US de Miami…

PHOTO PATRICK SISON, ASSOCIATED PRESS

L’application Robinhood

Galvanisés par leur succès, les adeptes de WallStreetBets tentent de refaire le coup avec d’autres produits financiers. Mais vous pouvez parier que les fonds de couverture ont maintenant compris leur petit jeu.

Surtout que malgré son nom, l’application qu’ils utilisent massivement, Robinhood, joue contre eux. Sous le couvert de démocratiser l’investissement, elle fait son argent en transmettant à l’avance les informations sur les transactions de ses utilisateurs à des tiers… dont des fonds de couverture !

On n’a plus les Robin des bois qu’on avait. Soulignons aussi le danger de mettre des produits financiers complexes comme des options dans les mains d’investisseurs souvent inexpérimentés.

On peut finalement s’interroger sur les valeurs qui sous-tendent ce « militantisme ». Oui, les petits investisseurs ont fait trembler Wall Street un moment. Mais leurs actions apparaissent surtout motivées par l’appât du gain et la recherche d’émotions fortes.

On ne rend pas le monde meilleur en déréglant la Bourse. Mais on peut y perdre son chèque de paie.

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